L’Ouort de Benevènt : un jardin collaboratif, terreau de solidarité autour des âgés et de leurs proches Hautes-Alpes (05)
Sur le vif
« J’accompagnais ma femme atteinte d’Alzheimer. Elle était suivie par le SSIAD de Bien Chez Soi et participait aux activités du mercredi de l’Ouort. Elle est décédée en juin dernier, mais j’ai continué de venir au lundi des aidants et au pique-nique le mercredi. J’étais épuisé et je retrouve de l’oxygène au jardin. Et puis ça rompt la solitude et la routine. Je m’y suis fait un ami et on se rend service ». Marco, ancien aidant, devenu bénévole au jardin
« Le jardin, c’est une vraie thérapie, cela vaut tous les traitements du monde. C’est un mélange de compétence et de bienveillance, entre les intervenants, les bénévoles, les familles. On rit beaucoup ensemble. Avec une autre aidante, également à France Alzheimer, on a même le projet de créer un jardin thérapeutique à Gap ». Annick, aidante de son mari atteint d’Alzheimer
« C’est fondamental que nos aînés puissent sortir de chez eux, être de nouveau actifs. Pour avoir un autre regard sur le grand âge, il faut montrer la vie, l’échange, les rencontres. C’est ce que j’essaye de saisir avec mes photos, qu’elles soient les plus authentiques possibles. Ma plus belle récompense, c’est le bonheur de ces vieux quand ils découvrent leur photo ». Denis Lebioda, photographe de l’Ouort
Pour répondre à l’isolement des plus âgés et réinsuffler du lien entre les habitants d’une vallée des Hautes-Alpes, une association gestionnaire d’un service de soins infirmiers « Association Bien Chez Soi », La Fare à domicile a créé un lieu atypique, l’Ouort de Benevènt.
Ce jardin collaboratif, porté par une équipe de bénévoles et une animatrice passionnée par le travail de la terre et la médiation sociale, propose pendant sept mois par an, des activités autour de la nature, de la création artistique, du bien-être et des événements fédérateurs (concerts, spectacles…). Ces animations ouvertes à tous les habitants ont notamment pour vocation de préserver l’autonomie des plus âgés, de les inciter à sortir de chez eux et de créer les conditions du partage et de l’échange entre générations.
Leur objectif est de transformer le regard porté sur l’âge et sur ceux qui accompagnent au quotidien les plus fragiles, professionnels de l’aide et du soin à domicile ou proches aidants. Dans l’environnement apaisant et non institutionnalisé du jardin, ces derniers apprennent à lâcher prise, découvrent les ressources du territoire pour les accompagner dans leur parcours d’aidants et développent des solidarités de proximité.
L’association Bien Chez Soi porte depuis les années 1980 un Service de Soins Infirmiers à Domicile, sur un territoire montagnard, rural et fortement vieillissant des Hautes-Alpes, celui de la Communauté de Communes du Champsaur-Valgaudemar. Près d’un tiers de la population a plus de 60 ans et près de la moitié des retraités vivent seuls, alors même que l’environnement géographique (huit communes sur 25 comptent moins de 10 habitants au km2) contribue à accentuer l’isolement des habitants les plus fragiles.
Les professionnels du SSIAD, qui compte 14 aides-soignant(e)s, une ergothérapeute et un psychomotricien, sont parfois les rares contacts extérieurs des personnes qu’ils accompagnent et de leurs proches. Ils entendent leurs regrets de ne plus pouvoir sortir de chez eux, ni profiter de cette nature qui a toujours fait partie de leur quotidien. En réponse, les aides-soignantes (et le psychomotricien) proposent un jour par semaine des animations collectives, parfois en extérieur, destinées à prévenir ou ralentir la perte d’autonomie, où elles seront encadrées par des bénévoles et l’animatrice. Tolérées par l’ARS, ces activités ne couvrent que partiellement les attentes des plus âgés.
C’est lors d’une rencontre fortuite entre la Vice-Présidente de l’association, elle-même infirmière libérale, et l’animatrice du jardin thérapeutique de l’unité cognitivo comportementale (UCC) de l’hôpital de Gap, que nait l’idée de l’Ouort (jardin en provençal alpin) de Benevènt : celle d’un jardin ouvert à tous quel que soit l’âge, entretenu et animé par des bénévoles et proposant un jour par semaine des activités favorisant les relations sociales, le bien-être et la transmission intergénérationnelle.
La commune de Saint-Bonnet-en-Champsaur est alors sollicitée et met à disposition de l’association un terrain situé sur le village de Benevènt récemment rattaché à Saint-Bonnet. Un groupe d’une dizaine de bénévoles (habitants, retraités, professionnels intervenant auprès des âgés…) se constitue autour de l’animatrice, devenue prestataire auprès de l’association. Passionnés de nature et soucieux de préserver des techniques traditionnelles de culture, ils mobilisent leurs compétences pour réaliser les premiers aménagements (déboisage, nivellement, mise en accessibilité, construction d’une cabane pour abriter le matériel…) indispensables à la création du jardin et à l’accueil du public.
Cette phase de démarrage, de 2015 à 2017, bénéficie d’un soutien financier et méthodologique de la Fondation de France bénéficie d’un soutien méthodologique, puis d’un soutien financier en 2017 et 2018 de la Fondation de France. Elle a repéré l’initiative dans le cadre de son programme « Hors-Piste », destiné à accompagner sur le département des Hautes-Alpes, des idées atypiques qui favorisent une participation active des habitants, valorisent les acteurs socio-culturels et facilitent la mutualisation des compétences et des ressources locales. Au printemps 2017, le jardin est prêt à accueillir ses premiers visiteurs.
Un jardin, lieu de détente, de partage et d’animation
Aménagé au pied de l’ancienne mairie de Benevènt, l’Ouort est un jardin collaboratif atypique. Au milieu des plantations, des allées, de la cabane de jardin et du coin pique-nique, le visiteur y découvre des épouvantails, des masques ou des totems colorés, des « cadavres exquis » de jardiniers et des fleurs tricotées, réalisés par tous ceux qui le fréquentent régulièrement. Accessible toute l’année, le jardin devient entre avril et octobre un espace d’animations, de rencontres et de partage ouvert à tous. Des événements ponctuels y sont programmés, qu’il s’agisse de concerts, de spectacles ou du désormais traditionnel concours de soupe qui clôture la saison. Mais surtout, un rendez-vous hebdomadaire est organisé chaque mercredi : toute la journée, les « visiteurs » peuvent participer à un large panel d’activités, renouvelées d’une semaine à l’autre, proposées par des intervenants locaux ou des bénévoles, et sont invités à partager un pique-nique ou un goûter.
Autour d’initiations au jardinage et à la botanique, d’ateliers ludiques, créatifs ou de bien-être, vont se croiser des usagers très divers : l’actif local qui vient sur sa pause déjeuner profiter du charme du lieu et qui découvre les animations, les enfants de la crèche ou de l’école municipale venus écouter des contes ou s’initier aux arts du cirque, les personnes désorientées de l'unité cognitivo-comportementale (UCC) de Gap et leurs soignants, accueillis une fois par mois au jardin, ainsi que les personnes âgées des communes voisines. Chacun vient à son rythme et participe selon ses possibilités à des activités majoritairement gratuites ou avec une contribution libre, même si l’adhésion à l’association (12 ou 20 euros annuels) est encouragée.
Ainsi, dans le cadre privilégié du jardin, des transmissions se font entre générations, des solidarités informelles se créent et une véritable dynamique se met en place au-delà de la vallée favorisant de nouveaux modes de développement, à la fois économique, social, culturel ou encore environnemental.
Une attention particulière aux âgés…
Cependant, si le jardin est ouvert à tous, sa vocation première est d’offrir aux habitants les plus âgés un lieu qui les encourage à sortir de chez eux et à renouer des contacts. Les activités proposées n’ont pas de limites d’âge, mais certaines sont aussi choisies pour favoriser le mieux-être des personnes âgées et prévenir la dégradation de leur état. Plusieurs ateliers proposent ainsi, par le jeu ou la création, de faire travailler la mémoire ou la motricité, alors que d’autres favorisent la relaxation ou le lâcher-prise. En permettant aux anciens de partager leurs expériences de vie, l’objectif est aussi de leur redonner un sentiment d’utilité et de participation sociale.
Même les moins autonomes sont invités à se mobiliser, avec le soutien de professionnels de l’âge qui interviennent à titre bénévole, à l’exemple de la psychomotricienne d’une (de) l’association qui co-anime un atelier modelage ou d’une animatrice du SSIAD (d’EHPAD), formée au massage. Car la force de l’association, qui appartient au réseau gérontologique local, c’est également d’avoir établi des liens étroits avec l’ensemble des acteurs du territoire intervenant sur le champ de l’âge. Ainsi, les auxiliaires de vie indépendantes, celles de l’ADMR, mais également l’accueil de jour ou le Pôle d’activités et de soins adapté (PASA) de la vallée, ont pris l’habitude d’accompagner régulièrement ceux dont ils ont la charge aux mercredis du jardin et d’encourager les moins isolés à venir avec leurs proches. Ils constatent alors, avec l’animatrice, l’épuisement de ces derniers mais également l’effet bénéfique d’un passage au jardin sur leur état d’esprit.
… et à leurs aidants
Des contacts sont donc pris avec la plateforme d’accompagnement et de répit installée à Gap. Portée par la Fondation Edith Seltzer, c’est un espace d’information, de soutien, de répit ouvert aux proches aidants d’une personne en perte d’autonomie, ainsi qu’aux professionnels. Elle anime par ailleurs des cafés des aidants, dont celui de Saint-Bonnet-en-Champsaur qui se réunit une fois par mois.
La proposition est faite de « délocaliser » à l’Ouort six séances de sophrologie entre septembre et octobre 2020. Face au succès de cette première initiative, le format est étendu en 2021 et six journées complètes, dédiées aux proches-aidants, sont mise en place par l’Association Bien Chez Soi et programmées entre mai et octobre 2021. Sur le même principe que les mercredis au jardin, elles proposent aux aidants de se retrouver autour d’ateliers bien-être (sophrologie, massages) et d’expression artistique (céramique), et de partager un repas ou un goûter, propices aux échanges et à la convivialité.
Si à l’origine les aidants étaient encouragés à venir seuls, les solutions d’accueil du proche aidé se sont révélées trop contraignantes (inscription trois semaines à l’avance) pour s’adapter à la souplesse du jardin. Finalement les aidés se sont parfaitement intégrés aux activités de ces journées, chose très appréciée des aidants qui ont pu vivre avec leur aidé une complicité, un rapprochement contribuant à resserrer leur lien. Les bénévoles ont donc été sollicités pour faire preuve de disponibilité auprès des personnes les plus dépendantes afin que leurs proches puissent profiter sereinement de la journée. Ces journées sont autant d’occasions privilégiées pour amener les participants à prendre conscience, lors des échanges informels, des conséquences de leur investissement et pour les renseigner sur les ressources locales.
L’Ouort les a notamment mises en valeur, lors de sa participation aux deux dernières éditions départementales de la semaine nationale des aidants, en invitant plusieurs partenaires à présenter leurs actions (plateforme de répit, accueil familial par le Département…). Des liens d’entraide se tissent entre aidants et perdurent après l’entrée en établissement ou le décès du proche, permettant à celui qui reste d’être entouré et de continuer à prendre part à la démarche collective du jardin.
Valoriser le regard sur l’âge
La démarche de l’Ouort dépasse aujourd’hui les frontières de la Vallée. L’animatrice, l’association Bien chez Soi et les bénévoles poursuivent un travail permanent de sensibilisation et de recherche de partenariats, financiers ou opérationnels, avec les acteurs locaux. Pour faire évoluer le regard porté sur les plus âgés et leurs proches, un photographe de l’association Regards alpins s’est engagé à leurs côtés depuis la création du jardin et réalise une chronique photographique, année après année, de ce qui se tisse au sein de ce lieu « hors-piste ». Il cherche, à travers ces portraits et ces scènes de vie au jardin, à en restituer l’ambiance mais aussi à donner une autre image du grand âge, en captant les envies de faire, de vivre et les savoirs et les richesses parfois oubliés ou peu valorisés des plus âgés.
Une exposition de ces clichés, régulièrement enrichie, est visible en permanence à la maison médicale de Saint-Bonnet-en-Champsaur et a déjà été présentée dans plusieurs lieux hors de la vallée : à l’hôpital et au tribunal de Gap, ou encore à l’Institut de formation en soins infirmiers où elle a donné lieu à un débat avec les futurs soignants. Deux ouvrages ont également été réalisés, dont l’un où les photos sont accompagnées de courts textes rédigés par les habitués du jardin, bénévoles et participants aux ateliers. Par ailleurs, une gazette, éditée deux fois par an, et une page Facebook ont été créées pour suivre l’actualité de l’Ouort.
De nombreux projets sont en cours de réalisation, toujours portés par cette volonté d’ouverture et de partage : un « frigo’jeux » a été installé sur le site avec le soutien de la ludothèque itinérante Ludambule, afin de proposer des jeux de société en libre-service, et le dispositif sera bientôt étendu aux livres.
Des partenariats s’installent en direction des jeunes : les élèves du lycée Sévigné de Gap, qui propose un bac professionnel SAPAT (services aux personnes et aux territoires), ont notamment créé et testé à l’Ouort des jeux favorisant la capacité cognitive et la motricité des personnes en perte d’autonomie ; ils ont aussi organisé des sorties avec un équipement adapté (joëlette) une fois par an avec une démonstration lors d’une (lors de la dernière) journée nationale des aidants 2021. A cette occasion des contacts se sont noués avec la nouvelle direction du collège de Saint-Bonnet-en Champsaur, et une classe est venue participer à cette journée à l’Ouort où un atelier d’improvisation théâtrale autour de la thématique des jeunes aidants était organisé. Enfin, l’Ouort de Benevènt fait des émules : deux aidantes, également adhérentes de l’association France Alzheimer, envisagent de créer un jardin thérapeutique à destination de ce public à Gap.
Contact : Claire Voltz, coordinatrice et animatrice de l’Ouort de Benevènt, Association Bien Chez Soi ; Adresse : Bénévent-et-Charbillac, 05500 Saint-Bonnet-en-Champsaur ; Tél. : 04 92 50 51 54 ; Courriel : claire.volt.z@hotmail.com
Siteweb : https://www.facebook.com/louortdeBenevènt/posts/2350120525282537/
L’essentiel de l'initiative :
Date de création : Création du jardin collaboratif en 2017 et mise en œuvre des actions à destination des aidants en 2020.
Population concernée : Les habitants de la communauté de communes Champsaur-Valgaudemar et plus particulièrement les personnes fragilisées par l’âge ou la maladie et leurs proches aidants, ainsi que ceux du bassin gapençais.
Territoire concerné : La Communauté de Commune du Champsaur Valgaudemar et le territoire situé dans un rayon de 25 à 30 kilomètres autour de l’Ouort de Benevènt.
Objectifs de l’action : Recréer des solidarités locales autour des personnes âgées. Permettre aux personnes âgées en perte d’autonomie de retrouver des relations sociales et de l’estime de soi autour d’une activité liée à leur culture rurale. Valoriser l’image de l’âge et de ceux qui accompagnent les plus âgés.
Offrir du répit aux proches aidants et leur permettre d’entrer dans un parcours de soutien.
Partenaires : Les acteurs du champ médico-social de la vallée ; Les acteurs du champ socio-culturel ; Les acteurs institutionnels : École, collège et lycée du territoire.…
Caractère innovant : Projet atypique, ne relevant pas strictement du champ médico-social, mais porteur d’une démarche de développement social et générateur de lien social.
La dimension collaborative et intergénérationnelle.
Le lieu, support des activités : un jardin.
L’approche non-stigmatisante et désinstitutionnalisée de l’âge et de l’aidance.
Impacts : Le changement de regard sur l’âge et sur les proches qui accompagnent au quotidien des personnes fragilisées par l’âge, le handicap ou la maladie. Le repérage d’aidants isolés et/ou qui ne se reconnaissent pas encore comme tels. Une prise de conscience par l’aidant des implications de son rôle d’aidant sur sa santé et sa vie quotidienne. Un mieux-être des aidants qui peuvent redevenir acteurs de leur parcours d’aide. La mise en réseau des professionnels, et plus largement des acteurs du territoire en capacité de soutenir les aidants et leurs proches aidés, qui favorise une réponse plus efficiente et mieux coordonnée.