EHPAD : qu'en dit la vieille en vous ?

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Ma grand-mère, la perte d’autonomie, ça la connaît, elle qui a besoin d’une aide quotidienne depuis plusieurs années, du lever au coucher en passant par les repas, la toilette et l’habillage. Je ne parle même pas des déplacements, réduits au strict minimum : lit, fauteuil, salle de bain puis retour à la case départ. Même si sa situation n’exclut pas la joie ni les bons moments, ça n’en est pas moins une épreuve. Pour elle d’abord. Pour nous ensuite, ses proches, aidants plus ou moins à l’aise avec ce rôle qu’on n’a pas vu venir.

Pourtant ma grand-mère a une chance que d’autres n’ont pas : elle habite chez elle, comme la majorité des personnes âgées en perte d’autonomie. Si rester chez soi pour ses vieux jours est le souhait de la majorité d’entre nous, l’enquête du journaliste Victor Castanet sur le groupe Orpea n’a pas amélioré l’image déjà ternie des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad. Mais de quoi parle-t-on ?

 

“ Mourir par carence affective : ce qui hier aurait été impensable s’est transformé en crainte légitime ”

Le problème ne date pas d’hier. Avant la publication de l’enquête déjà, la pandémie a mis un coup de projecteur sur la manière dont les vieilles et les vieux sont traités. Isolement forcé, visites impossibles ou drastiquement réduites dans un souci de protection, sentiment de solitude accru, stigmatisation aggravée… Pas étonnant que le neuropsychiatre Boris Cyrulnik choisisse le mot « catastrophe » pour désigner ce que nous appelons d’habitude la « crise » sanitaire. Dans une interview sur France Inter, il;,souligne que « l’isolement est très agressif pour les personnes âgées. Elles peuvent se laisser mourir de solitude. On appelle cela le syndrome de glissement. On parle d’une mort naturelle alors qu’il s’agit d’une mort par carence affective ».

Mourir par carence affective : ce qui hier aurait été impensable s’est transformé en crainte légitime pour beaucoup d’entre nous. Pour nos proches plus âgés d’abord, pour nous ensuite, vieilles et vieux en puissance. Comment expliquer ces atteintes aux libertés et droits fondamentaux, ces phénomènes de négligence et de maltraitance pointés dans différents rapports, avis, témoignages et enquêtes ?

 

“ Le manque de moyens financiers et humains est un constat récurrent en matière d’accompagnement des personnes âgées ”

On a vite fait de généraliser en mettant tous les vieux et tous les Ehpad dans le même panier, tendance qui conduit certains à dénoncer un Ehpad bashing préjudiciable aux acteurs du secteur. On ne le dira jamais assez : toutes les personnes âgées ne sont pas en perte d’autonomie, toutes les vieillesses ne se soldent pas par une entrée en maison de retraite, tous les Ehpad ne sont pas maltraitants et toute maltraitance n’est pas volontaire.

En France d’ailleurs, la plupart d’entre nous vieillissent bien : seulement 8 % des plus de 60 ans et 20 % des plus de 85 ans sont dits « dépendants », si tant est que « bien vieillir » signifie vieillir sans avoir besoin d’aide. De ce point de vue, ma grand-mère est plutôt l’exception qui confirme la règle.

Ainsi les Ehpad concernent une part relativement réduite des plus âgés : 10 % des 75 ans et plus et un tiers des 90 ans ou plus. Malgré ces réalités, une chose est sûre : le manque de moyens financiers et

humains est un constat récurrent en matière d’accompagnement des personnes âgées. Dans un rapport réalisé en 2018 suite à une vaste concertation sur le thème "Grand âge et autonomie", l’ancien directeur de la Sécurité sociale Dominique Libault avait évalué le besoin en ressources supplémentaires à 9 milliards d’euros pour mener une politique de soutien à l’autonomie, dont 1,2 milliard pour la seule augmentation des

effectifs en établissement.

 

“ C’est un système qui prend l’eau ”

Or, c’est là que le bât blesse : le secteur connaît un problème persistant de personnel. On est très loin des effectifs promis par l’Etat (on visait employés pour 10 résidents en 2012, avec l’ambition de monter à 1 salarié pour 1 résident). Concrètement, près d’un Ehpad sur deux est confronté à des difficultés de recrutement. Turn-over, faible attractivité des métiers du grand âge malgré une récente revalorisation des salaires et des campagnes de communication à la gloire de ces professions… « C’est un système qui prend l’eau », explique Annie de Vivie, auteure du livre J’aide mon parent à vieillir debout. « Le système est tellement peu fier de ce qu’il fait qu’il éjecte les nouveaux qui y arrivent, ajoute-t-elle. Le taux d’accidents du travail y est plus important que dans le secteur du bâtiment ».

Ce n’est donc pas un hasard si, depuis que ma grand-mère est sur la pente glissante de la perte d’autonomie, nous ne comptons plus les auxiliaires ou assistantes de vie qui l’ont accompagnée, ni les structures d’aide à domicile avec lesquelles nous avons travaillé. Celles qui sont au plus près des

personnes âgées ne manquent pas d’insister sur le fait que la question des moyens n’explique pas à elle seule la situation actuelle. « Il n’y a pas qu’un problème de personnel, insiste Florence Braud, aide-soignante et auteure. Il y a tout un Ehpad à repenser »

.

“ Ce qui caractérise les modèles de demain ? La pluralité ”

Heureusement, des solutions sont en train d’émerger. Les femmes sont d’ailleurs en première ligne, elles qui représentent la majorité des personnes âgées, des aidants et des effectifs en établissement, où 87 % du personnel est féminin. 

Ce qui caractérise les modèles de demain ? La pluralité, en réponse à la diversité des besoins et des situations. Des résidences autonomie, pour les personnes ayant besoin d’une aide modérée, aux résidences services pour les plus autonomes, en passant par l’habitat inclusif, la cohabitation intergénérationnelle ou le béguinage… L’habitat intermédiaire a le vent en poupe.

Ce terme renvoie à toute une palette de solutions (nous y consacrerons une news) entre le domicile et l’établissement médicalisé, dont la forme la plus courante est l’Ehpad. Le collectif y joue souvent un rôle clé, avec des mécanismes d’entraide ou des espaces communs pour prévenir l’isolement, facteur aggravant de la perte d’autonomie. A l’image du projet porté par ces 10 amies (récit à retrouver dans le Pèlerin magazine*) qui se sont réunies pour « trouver une voie entre vivre seul isolé chez soi et finir en maison de retraite ».

 

“ Des Ehpad : oui, mais réformés ”

Cette pluralité d’habitats n’exclut pas les Ehpad, ceux-ci restant, pour l’instant au moins, une solution privilégiée face à une perte d’autonomie jugée sévère. Florence Braud le rappelle : « l’Ehpad rassure parce que c’est médicalisé ». Dans les situations les plus critiques, être rassuré est un besoin fondamental, peut-être plus encore pour les proches que pour les personnes âgées elles-mêmes.

Des Ehpad : oui, mais réformés. Pionnières de cette transformation, l’architecte Fany Cérèse et la consultante en gérontologie sociale Colette Eynard proposent une approche renouvelée de ce « monde à part ».

L’enjeu ? Bâtir des établissements centrés sur l’usage, autrement dit : sur les aspirations et besoins de celles et ceux qui y habitent ou travaillent.

Les initiatives se multiplient pour créer l’Ehpad de demain. Un Ehpad plus humanisé, plus ouvert sur l’extérieur notamment grâce à des « tiers lieux », ces espaces qui favorisent la coopération entre acteurs de la vie locale et proposent différentes activités pour répondre aux besoins d’un territoire : ateliers, jardins partagés, spectacles, concerts, jeux en extérieur… Un appel à projets permet d’allouer un total de 3 millions d’euros à 25 projets de ce type dans différentes régions.

 

“ Il faut que les efforts viennent de tous les côtés : l’Etat, les soignants, les gens ! ”

Au-delà des modes d’habitat, améliorer l’accompagnement des personnes âgées qui perdent en autonomie passe par un effort collectif qui va de la formation des professionnels à un accès facilité à l’information sur les enjeux et les solutions existantes ; d’une harmonisation administrative à une culture préventive plus développée, en passant par une évolution du regard porté sur la vieillesse et l’avancée en âge.

C’est en tout cas la vision que défend Florence Braud, régulièrement invitée pour prendre la parole sur le sujet. « Il faut que les efforts viennent de tous les côtés : l’Etat, les soignants, les gens ! ». Dans un texte intitulé « Quand je serai vieille », l’aide-soignante écrit noir sur blanc ce qu’elle souhaite et ce qu’au contraire elle ne veut en aucun cas pour ses vieux jours. Pas question qu’on l’appelle « ma p'tite dame », « ma jolie », ni qu’on lui enlève le droit d’être tout simplement elle-même. Il en va de sa dignité.

Contrairement à ma grand-mère qui n’a pas vu venir cette lame de fond du vieillissement, nous avons la chance de pouvoir nous projeter et anticiper. Et si comme Florence Braud, nous en profitions pour sonder la vieille qui sommeille en chacune de nous ?

 

* Cahier du Pèlerin "Agir pour les femmes" : voir les pages 14-15

 

Katerina Zekopoulos, publié par Vives de mars, 

 

Katerina Zekopoulos est créatrice de contenus et consultante sur les enjeux du vieillissement, notamment l’âgisme. Après avoir lancé avec deux collègues le podcast « A fleur d’âge », elle crée le blog Coup de vieilles pour tordre le cou aux idées reçues sur les vieux et en particulier les vieilles. Co-fondatrice du cabinet de conseil en intelligence culturelle Anemo, elle cherche à contribuer à une société plus inclusive en agissant sur les récits et les représentations. Elle a participé au dossier "Vieilles et Citoyennes" avec Or Gris dans le POUR n°242 de mars 2022

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