Le jour où je suis devenue aidante
Depuis le début de la crise sanitaire, ma mère, âgée de 77 ans et en relative bonne santé, voulait absolument parler de son avenir, craignant qu’un jour elle doive aller vivre en EHPAD. A chaque fois, j’évitais délibérément cette conversation, car elle réveillait mes propres peurs : voir ma mère devenir vulnérable. Surpassant mes craintes, nous avons ensemble envisagé différents scénarios qui pourraient la faire basculer de son domicile à un EHPAD, voire à d’autres types d’habitats plus adaptés, au moment où elle pourrait perdre son autonomie.
Dans le film The Father, avec Anthony Hopkins et Olivia Colman, la fille n’a pas cette opportunité de pouvoir échanger au préalable avec son père. Elle se retrouve face à la perte de mémoire de celui-ci qui s’accentue de jour en jour. Elle doit prendre seule la décision de faire intervenir des professionnels, puis de l’accueillir chez elle, et en dernier recours, désemparée, ne sachant plus comment agir, elle se résout à placer son père en EHPAD.
Combien d’enfants (les “proches aidants”) sont ainsi obligés de prendre la décision si difficile de cette entrée en institution ? Comment parler avec nos parents de ces choix à faire ? Faut-il les forcer à la discussion, ou respecter qu’ils ne sachent pas ou ne veuillent pas savoir ? Comment se positionner quand la décision prise par nos parents ne correspond pas à la nôtre, quand notre mère commence à moins se laver, à dormir toute la journée, et à oublier, tout en disant clairement qu'elle ne veut pas aller vivre en EHPAD ?
En France, nous sommes 11 millions de “proches aidants”, soit 1 Français sur 6. Plus de 40 % de ces proches accompagnent des personnes âgées en perte d’autonomie, vivant à domicile le plus souvent. Et 82 % consacrent au moins 20 heures par semaine en moyenne à leur(s) proche(s). Mais en quoi consiste cette aide ? C’est à la fois accompagner son parent à un rendez-vous médical, résoudre des problèmes administratifs, coordonner le passage de professionnels, l’aider à s’habiller etc., mais c’est surtout une présence et une écoute.
Devenir aidant peut être terrorisant, comme parfois salvateur et créateur de nouveaux liens, mais on devient rarement aidant de façon foudroyante. Bien souvent, cela s’intègre peu à peu dans nos quotidiens de manière silencieuse, face à une lente diminution des capacités physiques ou psychiques de nos parents. Car oui, les proches aidants sont majoritairement les enfants des personnes âgées en perte d’autonomie, et près de 60 % des proches aidants sont des femmes !
Comme le dit Sandra Laugier, professeure de philosophie à la Sorbonne et spécialiste du Care, ce sont les femmes qui sont les premières à prendre soin, à la fois dans la sphère familiale en tant que conjointe ou fille, mais aussi dans le monde professionnel, comme aides-soignantes (91 % de femmes) ou infirmières (87 % de femmes). Ce sont donc le plus souvent des femmes qui prennent ces décisions du quotidien avec ou pour leurs parents, alors que le care, ce “prendre soin”, ne concerne pas que les femmes, mais bien tout le monde. Les projections démographiques montrent d'ailleurs qu’en 2030, 1 personne sur 4 au sein de la population active sera "aidant".
Il ne s’agit pas que du choix du dernier lieu de vie, mais de multiples décisions qui jalonnent le parcours d’aidants et qui accaparent l’esprit : quel accompagnement médical et humain choisir ? Comment financer les différents accompagnements ? Que dire à notre environnement professionnel quand nos parents nous appellent au travail ?
Ces décisions entrent parfois en tension avec d’autres exigences familiales et professionnelles. Quand l’entreprise américaine Levis veut accorder jusqu’à huit semaines de congés payés par an pour ses salariés aidants, on se dit qu’on est à deux pas de briser certains tabous et de pouvoir tenter d’ouvrir avec nos parents des espaces d’échanges. Mais pour ce faire, il faudra sûrement accepter de se sentir parfois mal à l’aise, écouter leur singularité et comprendre que leur choix ne correspond pas toujours au nôtre.
Mélissa-Asli Petit
Melissa-Asli Petit est une jeune sociologue qui s'intéresse au vieillissement pour mener une réflexion plus globale. Elle cherche à créer des ponts entre les âges et les cultures, et à questionner la place des femmes, notamment âgées, dans la société. Mélissa-Asli a fondé en 2015 Mixing Générations, bureau d’étude et de conseil sur les questions de longévité et de la silver économie. En 2016, elle a publié "Les retraités : cette richesse pour la France" (éditions de l’Harmattan). Mélissa incarne pour ViveS cet échange vivifiant et solidaire entre les générations, ainsi qu’un regard de spécialiste sur la question de l’âge dans la société.
Publié le 11 décembre 2021 par. Vives média : https://www.vivesmedia.fr
Dans le réseau Or Gris, de nombreux-ses participants sont dans cette situation, en difficulté devant cette situation…
Le +de ViveS
UNE BD
Ne m’oublie pas d’Alix Garin
La grand-mère de Clémence souffre de la maladie d'Alzheimer et réside en maison de retraite. Cette bande dessinée aborde sous un autre angle la question de la décision : celle d’une petite-fille qui enlève sa grand-mère pour répondre à son envie de revoir pour la dernière fois la maison de son enfance.
UN FILM
The Father joué par un brillant Anthony Hopkins oscarisé pour ce rôle en 2021, refuse catégoriquement l'aide de sa fille Anne lorsqu'il commence à être atteint de démence. Il peine à garder ses repères et s’en prend à ses proches, notamment à sa fille, pour ces confusions à répétition. La force du film est de nous placer dans la peau de cet homme, car c’est à travers ses yeux que l’on vit le récit, tout en comprenant la douleur de sa fille de devoir décider pour lui de son quotidien et de son avenir.
DEUX LIVRES
Qu'est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité
Ce livre de Pascale Molinier, Sandra Laugier et Patricia Paperman propose une perspective théorique de la notion de care, parfois un peu floue et galvaudée. Il dresse le panorama des travaux fondateurs sur la thématique et ouvre des perspectives claires sur la réalité quotidienne de cette notion.
Les aidants : Ces proches indispensables du quotidien
Ce livre de Claudie Kulak est un peu comme un guide pratique. L’auteure, elle-même aidante et fortement engagée sur ce sujet, fait découvrir aux lecteurs son histoire et celle de nombreux aidants qu'elle a croisés sur son chemin. Mais ce sont aussi de multiples informations, conseils, points d'attention qu’elle propose.
UN RÉSEAU
Le site Ma boussole Aidants
Une initiative de la fédération Agirc-Arrco et soutenue par KLESIA, qui centralise informations essentielles et liens vers les aides de proximité. Une plateforme conçue en collaboration avec plus de 150 aidants et 400 professionnels.