Des personnalités s’organisent pour imposer un débat sur « la vieillesse » à la présidentielle
Le Conseil national autoproclamé de la vieillesse, créé en décembre, souhaite la création d’une instance qui conseillerait le gouvernement pour que les politiques publiques soient adaptées aux personnes âgées.
Ils rêvent de mettre la « vieillesse à la mode », imaginent des « Vélib’ à trois roues »à Paris pour pédaler sans risquer de tomber, des « casques audio au théâtre ou au cinéma » pour combler un début de surdité, des « taxis gratuits » pour se déplacer en ville, des maisons de vacances adaptées à leurs déplacements difficiles.
Ils fourmillent d’idées pour que « la société tienne compte de leur aspiration » à exercer « leur citoyenneté », disent-ils, et cesse de les considérer uniquement sous l’angle de leurs défaillances physiques ou cognitives. Raisons pour lesquelles ils ont fondé ou rejoint le Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNaV). Le collectif s’est créé en décembre et revendique son « impertinence ». « Ce qui m’intéresse, c’est que notre action reste intempestive, sauvage, éruptive », explique la docteure Véronique Fournier, à l’origine du collectif avec trois autres personnes.
Le CNaV réunit une bonne quarantaine de membres ; anciens ministres, médecins, universitaires, dramaturges, metteurs en scène, écrivaines, journalistes, militants associatifs. L’ambition du mouvement est d’imposer la vieillesse parmi les thèmes majeurs de la campagne présidentielle. Sa principale revendication : la création d’un « Conseil national des personnes vieilles » (CNPV), une instance officielle chargée de souffler au gouvernement des mesures adaptées aux personnes âgées dans toutes les politiques publiques. A l’instar du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) placé auprès du premier ministre.
A l’automne, constatant que la loi pour le grand âge, promise par Emmanuel Macron, resterait lettre morte, ils ont voulu « prendre [leur] destin en main. C’est ainsi qu’est né le CNaV », raconte la docteure Fournier.
Un « gang d’anciens ministres »
Cardiologue, fondatrice du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin, Véronique Fournier, 67 ans, mène des recherches sur l’allongement de la vie à partir de la parole des personnes âgées. Associé à ces travaux, le docteur Nicolas Foureur, 50 ans, a œuvré à ses côtés au lancement du CNaV : « C’est typiquement un projet de “boomers”, une génération qui râle pour elle-même mais qui sous un apparent individualisme veut faire avancer le collectif. »
Le fil rouge du CNaV tient en peu de mots : « Aucune décision pour les vieux ne doit être prise sans demander l’avis des vieux », résume Francis Carrier, 67 ans, autre instigateur de la démarche. A la tête de l’association Grey Pride, cet ancien administrateur d’Aides milite pour la reconnaissance de l’identité des homosexuels âgés et pour que la vieillesse cesse « d’être un repoussoir ». Avec une stratégie rôdée pour y parvenir : inciter des personnalités connues ou non à s’assumer comme « vieilles » ou « vieux ». Protagoniste du projet, Eric Favereau, 67 ans, journaliste à Libération, a fondé le site Internet Vif-fragiles.org (VIF comme « Vieux, inégaux et fous »). Lui aussi insiste sur la nécessité de « donner la parole aux premiers intéressés pour faire avancer la question de la vieillesse ».
Au CNaV, on croise un « gang d’anciens ministres »,galèje Michèle Delaunay, 74 ans, ancienne ministre déléguée chargée des personnes âgées sous la présidence de François Hollande. On y trouve aussi Monique Pelletier, 95 ans, ex-ministre déléguée à la condition féminine de Valéry Giscard d’Estaing, qui se mobilise depuis longtemps pour la cause des personnes âgées isolées.
A leurs côtés, Michèle Barzach, 78 ans, et Bernard Kouchner, 82 ans, anciens ministres de la santé. « Dans les pays qu’on dit “primitifs”, l’expérience des vieux compte, remarque l’ancien ministre de la santé, cofondateur de Médecins du monde. En France, ce n’est pas le cas et c’est dommage. Il faut associer les vieux aux décisions qui les concernent. » A 72 ans, Dominique Gillot s’assume en « vieille dame ». L’ex-secrétaire d’Etat chargée de la santé dans le gouvernement de Lionel Jospin et ex-présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées « le clame haut et fort pour montrer que l’on peut avancer en âge tout en ayant une activité dans la société ».
La crise sanitaire, le déclic
Parmi les personnalités du CNaV, beaucoup évoquent le confinement des résidents d’Ehpad au début de la pandémie de Covid-19 qui les a « stupéfaits »,« scandalisés ». « On a privilégié la survie au détriment du sens de la vie », dénonce Didier Sicard, ancien président du Centre consultatif national d’éthique. Pour l’ancien professeur de médecine, « cette violence insoutenable infligée » aux vieux justifie, plus que jamais, « une structure qui incarne les personnes âgées face aux pouvoirs publics qui fasse avancer le débat sur leur sort ».
C’est aussi le traitement de la crise sanitaire dans « certains Ehpad » qui a conduit le sociologue Michel Wieviorka à rallier le CNaV. « Je souscris à l’idée que les solutions doivent venir de la société civile ; que les très âgés doivent en être sujets et acteurs », approuve celui qui déclare s’engager « en tant que futur vieux ».
Ariane Mnouchkine juge l’initiative « revigorante ». A bientôt 83 ans, la directrice du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes (Val-de-Marne) a « le privilège d’être encore en activité ». « Mais je ne veux pas que, à la moindre faiblesse, on me mette dans une cage molletonnée pour me “protéger”. Je me débats d’avance. » La metteuse en scène compte sur le CNaV pour « élaborer des propositions afin que les vieux ne soient plus séparés du reste de la société, puissent continuer à y être utiles, à demeurer partie prenante de l’humanité ».
La journaliste Laure Adler « revendique » son âge, 71 ans, pour « s’exprimer » au sein du CNaV. Pour la productrice de radio, autrice d’un livre sur le sujet (La Voyageuse de nuit, Grasset, 2020), « il y a un délit de vieillesse hélas, communément partagé en France », qui conduit à « déresponsabiliser les vieux, à les priver de leurs droits élémentaires ». Le CNaV porte la signature, dit-elle, de « la génération de Mai 68 » qui veut que sa classe d’âge « reste actrice de sa propre histoire », comme il y a plus de cinquante ans lorsqu’elle disputait le pouvoir aux « vieux ».
Groupes de travail
Que le CNaV agrège des scientifiques, des politiques, des intellectuels, des CSP+, ne veut pas dire « qu’on cultive l’entre-soi », se défend Francis Carrier. « On veut au contraire défendre tous les vieux. » Ne pas devenir un club de « vieux mondains », admet Dominique Gillot, suppose d’élargir le cercle à des personnalités plus « grand public » et d’« attirer des jeunes », poursuit Véronique Fournier.
Une dizaine de groupes de travail phosphore d’ores et déjà au sein du CNaV sur des propositions sur la citoyenneté, la fracture numérique, l’habitat, la mobilité et sur l’organisation du futur « Conseil national des personnes vieilles ».
Au printemps, le ministère de l’autonomie avait préparé une version d’un projet de loi baptisé « générations solidaires ». Le texte proposait la création d’une conférence nationale de la transition démographique. L’idée ressemble à celle du CNaV. Elle dort dans un tiroir depuis lors.
Béatrice Jérôme, Publié le 28 décembre 2021 dans Le Monde