Quand la mort change

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Un peu plus de 600 000 personnes meurent chaque année en France, soit un peu plus d’un décès par minute. La moitié seulement a souhaité des obsèques religieuses*. La sécularisation grandissante et la crise sanitaire font émerger de nouveaux questionnements autour de la dignité du mourant, de la mise en bière et du rituel de deuil. Tour d’horizon des principales mutations sociologiques autour de la mort.

« La fin de vie, c’est encore la vie », s’accordent à dire bénévoles et professionnels du monde palliatif. Réussir sa fin de vie est devenu un enjeu social, qui s’articule autour de la notion de dignité. Cette réflexion prend sa source dans les années 1970 : « Mourir commence alors à prendre du temps, affirme Gaëlle Clavandier, sociologue et anthropologue spécialisée dans la mort et le mourir. La médicalisation entraîne le transfert des morts du domicile vers l’hôpital, il y a un processus de professionnalisation des acteurs du soin et de la fin de vie. La réflexion autour du rapport intime à la mort est plus forte.» Pour certains, la dignité est synonyme d’euthanasie ; pour d’autres, elle rime avec soins palliatifs.

Dans ce contexte, de nouvelles professions apparaissent : « J’aide les personnes en fin de vie à définir leur propre dignité pour que le passage se passe au mieux, dit Anthéa Letellier, « thanadoula **» accompagnatrice de fin de vie. Puis, j’accompagne les proches dans l’au revoir : je leur montre comment faire une toilette mortuaire, brosser les cheveux d’un mort. » Autre métier en plein essor : les biographes de fin de vie. Ils racontent la vie des mourants pour laisser une trace audio, photo ou vidéo aux proches endeuillés. « Dans les cimetières, c’est frustrant de ne voir qu’un nom et des dates, alors qu’il y a un héritage invisible », illustre Delphine Letort, écrivaine de fin de vie et créatrice du QR code funéraire français, fixé sur la tombe, donnant un accès numérique à la vie du défunt.

Rituel laïc

Un an avant la légalisation de la crémation en France, l’Église catholique l’interdit officiellement par un décret du Saint-Office du 16 mai 1886 dénonçant « les hommes de foi douteuse ou liés à la secte maçonnique qui travaillent activement à rétablir l’usage païen de brûler les cadavres humains ». Elle modifiera sa position en 1963. Depuis, cette pratique funéraire n’a cessé de progresser : elle concernait 1 % des Français en 1980, 40 % aujourd’hui. La crémation va de pair avec la montée du rituel laïc, alternative aux funérailles religieuses. Mais, dans les crématoriums, souvent austères, les cérémonies sont limitées à trente minutes et, lors des inhumations, seul le cimetière accueille les endeuillés, à la merci des intempéries.

Certaines villes commencent toutefois, timidement, à prêter des salles communales et les pompes funèbres gérées dans le cadre d’une mission de service public – 10 % en France – proposent des cérémonies civiles personnalisées. En mars 2021, la députée de Loire-Atlantique Audrey Dufeu a déposé une proposition de loi « visant à réussir la transition démographique pour lutter contre l’âgisme », préconisant entre autres de créer des funérailles républicaines, avec, sur demande, la mise à disposition par les communes ou établissements publics de coopération intercommunale d’une salle et l’organisation d’une cérémonie civile (article 13). En parallèle, de nouveaux métiers émergent autour de la célébration, funeral planner ou officiant·e laïque. En s’inspirant de rituels ancestraux et de la vie du défunt, ces entrepreneur·se·s inventent des hommages personnalisés.

Écologie

À l’heure où les questions environnementales prennent de l’importance, le secteur de la mort, aussi tabou soit-il, n’y échappe pas. Suite à la loi « zéro phyto », les cimetières végétalisés bourgeonnent. Le granit des pierres tombales, dont la moitié provient d’Asie, recouvre encore 95 % des sépultures. Mais les tombes fleuries et « pleine terre » – sans caveau – se multiplient. Autre usage social dénoncé par les défenseurs de la mort écolo pour son caractère polluant, la thanatopraxie reste pratiquée par la moitié des Français. « Les soins de conservation au formol permettent de rendre hommage selon des modalités acceptables socialement, analyse Gaëlle ClavandierLe corps est relativement stable au niveau de l’odeur et de la vision. On maintient le mort près de soi, tout en gardant la mort à distance. » Peu à peu, un mouvement revendiquant la mort « au naturel » apparaît. Un nouveau collectif, en faveur de l’humusation – technique de compostage du corps –, entend aussi faire reconnaître ce mode de sépulture dans la loi.

Sarah Boucault dans Témoignage Chrétien du 28 octobre 2021

https://www.temoignagechretien.fr/quand-la-mort-change/

* Étude du CREDOC pour la CNAF : csnaf.fr/sites/csnaf.fr/files/publications/les_francais_et_les_obseques_201_9_-_rapport_total-min.pdf

** Des « thanadoulas » proposent d'accompagner des mourants et leurs familles vers le trépas, en leur donnant du soutien psychologique et en les guidant dans l'organisation de funérailles à la maison et de rituels plus personnalisés.

Quand la mort change

Publié dans Culture, viei, Société

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