Les pistes du gouvernement pour prendre en charge le grand âge : Une loi pour les générations solidaires ?
La loi est suspendue à l’arbitrage de l’Elysée. Le texte pourrait arriver au Parlement à l’automne. Emmanuel Macron doit soupeser l’opportunité politique d’un texte en faveur du grand âge en fin de quinquennat.
Une loi pour les générations solidaires ?
Une loi « grand âge », pour quoi faire ? Le gouvernement, dans l’urgence de la crise sanitaire, a lancé en 2020 un plan d’investissement pour les Ehpad et un autre pour augmenter les salaires des soignants – un troisième est en cours pour ceux des aides à domicile. « Notre grande réforme de l’autonomie bat son plein »,s’est félicitée, le 10 mars, Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie, devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. En revanche, la loi « pour répondre au nouveau risque de la dépendance », promise par Emmanuel Macron en juin 2018, puis en septembre 2020, reste, elle, en suspens.
Jeudi 20 mai, une réunion du gouvernement à Matignon, pilotée par le premier ministre Jean Castex et consacrée au sujet, aurait pu laisser croire à une annonce imminente. « Il ne s’agissait pas d’une réunion d’arbitrage conclusive mais d’un point d’étape, a indiqué Matignon à la sortie. Le calendrier et le contenu d’une réforme plus large n’étant pas à ce jour arrêtés. » Pour un expert du dossier, cette séance était de bon augure : « Sur le fond, la réunion s’est bien passée. Matignon souhaite un examen au Parlement à l’automne. On devrait avoir des nouvelles dans les prochaines semaines. » Selon nos informations, l’arbitrage se poursuit désormais à l’Elysée. Mme Bourguignon milite pour un examen du texte en septembre à l’Assemblée nationale. Ce qui suppose une présentation en conseil des ministres avant juillet. Mais la bataille n’est pas gagnée.
Le projet porte une ambition : permettre au plus grand nombre de Français de pouvoir vieillir chez eux. Ce qui suppose de s’attaquer au chantier des inégalités de l’Allocation personnalisée d’autonomie, dont le montant est aujourd’hui librement fixé par les départements. Le texte prévoit la création d’un tarif plancher et d’une contribution de quelques euros versée aux bénéficiaires pour élargir la palette d’interventions des Services d’aide et d’accompagnement à domicile. L’Etat compenserait en partie le coût de cette réforme pour les départements.
Caractère indispensable de la loi
La réforme vise aussi à favoriser les « Ehpad-plates-formes » en faisant sauter les verrous juridiques et fiscaux qui dissuadent les établissements de proposer des services à domicile aux habitants. Les salariés de ces établissements pourraient apporter des repas ou des soins aux habitants âgés vivant aux alentours. Les non-résidents pourraient se rendre en Ehpad pour certains soins.
Le texte entend également promouvoir les modes de vie collectifs alternatifs à l’Ehpad : la cohabitation entre seniors, avec logements individuels et activités partagées, les habitats intergénérationnels, l’accueil familial, qui permet à des familles de loger une personne âgée ou handicapée.
Lors de la réunion à Matignon, le 20 mai, le scénario de Mme Bourguignon a reçu le soutien de plusieurs ministres dont Olivier Véran, à la santé, et Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées. Mais pour elle, un défi demeure : ne pas laisser le doute s’instiller au sein de l’exécutif sur le caractère indispensable de la loi, alors que des mesures ont déjà été prises par le gouvernement et peuvent l’être en dehors d’un texte législatif ad hoc.
D’ores et déjà, les accords du Ségur de la santé, signés en juillet 2020, prévoient 2,1 milliards d’euros pour rénover les Ehpad, créer des places nouvelles et les équiper en matériels. Et une enveloppe, estimée à plus d’un milliard d’euros, est consacrée à la revalorisation des salaires dans le secteur médico-social.
Mme Bourguignon a par ailleurs obtenu, à l’automne 2020, que l’Etat dégage 200 millions d’euros chaque année dès 2022 pour la hausse des rémunérations des aides à domicile du secteur associatif. En janvier, elle a annoncé un « plan d’action pour les métiers du grand âge », confié par Jean Castex à l’ancien patron de l’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine, Michel Laforcade. Toutes les préconisations qu’il doit rendre en juillet ne devraient pas nécessiter une loi pour leur mise en œuvre. Autant d’avancées à double tranchant, donc.
Mme Bourguignon en est toutefois convaincue : « Une réforme législative aura lieu, a-t-elle indiqué le 10 mars au Sénat, car on ne peut traiter certains sujets que par ce biais. »
« Nous avons les moyens de notre ambition »
L’intitulé du préprojet de loi a changé. Il ne s’appelle plus « grand âge et autonomie » mais « loi pour les générations solidaires ». Le message de Mme Bourguignon est clair : consacrer une loi aux seniors, c’est porter une réforme sociale pour la fin du quinquennat, ne serait-ce qu’en générant un gisement d’emplois pour les jeunes dans les métiers du maintien de l’autonomie.
Le 20 mai, ni Bruno Le Maire, ministre de l’économie, ni Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics, n’ont exprimé d’objection sur le coût de la réforme. La loi impliquerait un surcoût estimé à 3 milliards d’euros à l’horizon 2030. Soit 1,6 milliard pour le secteur des aides à domicile, et 1,4 milliard pour les mesures concernant les Ehpad. A ces dépenses serait affectée une quote-part de CSG existante, sans hausse d’impôts, conformément à l’engagement pris par l’exécutif sous la mandature.
Reste que certains acteurs du secteur redoutent une réforme dont l’ampleur et le périmètre financier ne seraient pas à la hauteur des besoins. « Aucun projet de loi ne peut être ambitieux à la fin du quinquennat. Si jamais il était adopté, il y a peu de chances qu’il y ait une réforme ambitieuse en début du quinquennat », s’inquiète un connaisseur du dossier. Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, chargée depuis août de piloter la nouvelle branche « autonomie » de la Sécurité sociale, propose notamment dans un rapport sur son financement, remis en mars au Parlement, de réduire le coût des séjours en Ehpad pour les ménages. A ce stade, une telle mesure n’est pas évoquée par la ministre.
Dans son rapport pour une loi grand âge, remis en mars 2019, Dominique Libault évalue à 2,7 milliards d’euros d’ici à 2030 le coût pour l’Etat de la baisse du reste à charge pour les résidents en Ehpad. Quant au besoin de financement total d’une loi grand âge, il l’évalue à 9,2 milliards d’euros sur la période.
« Nous avons les moyens de notre ambition », rétorque Mme Bourguignon. « 4,5 milliards [d’euros] de mesures nouvelles » pour le secteur sont déjà engagés par l’Etat, a-t-elle indiqué le 12 mai à l’Assemblée nationale. Raison pour laquelle, plaide-t-elle, la loi qu’elle prépare nécessite une enveloppe inférieure aux chiffrages des rapports sur le sujet, remis au gouvernement depuis 2019.
Emmanuel Macron doit soupeser l’opportunité politique d’un texte en faveur du grand âge en fin de quinquennat. La question a été soulevée par un ministre, jeudi, autour de la table. La réunion a aussi été l’occasion d’évoquer la liste des textes de loi en instance d’être adoptés : la réforme de l’assurance-chômage, la loi « 4D » pour les territoires. Sans oublier la réforme des retraites, sur laquelle Bercy ne souhaite pas faire l’impasse. Une pléthore de textes pour une étroite fenêtre de tir parlementaire en septembre.
Par Béatrice Jérôme, publié dans le Monde du 26 mai 2021