Covid-19 : colère et désarroi chez les patients de plus de 75 ans sans rendez-vous vaccinal
Les médecins sont confrontés à la difficile gestion de la pénurie, le nombre de doses ne permettant pas de répondre à la forte demande.
Des rendez-vous pris d’assaut à la minute où ils sont mis en ligne, des patients prêts à attendre devant un centre de vaccination dans l’espoir qu’une dose supplémentaire soit disponible… Quatre semaines après l’ouverture de la vaccination aux personnes de plus de 75 ans ne vivant pas en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – soit 5,5 millions de personnes –, la pression ne retombe pas.
Si 16 % des personnes éligibles ont reçu une première injection, ceux qui n’arrivent pas à trouver un rendez-vous ou dont le rendez-vous a été annulé sont souvent partagés entre colère, inquiétude et incompréhension, relatent les médecins généralistes.
Faute d’un nombre suffisant de doses, la situation ne devrait pas s’améliorer à brève échéance, même si le gouvernement promet d’ouvrir en cette fin de semaine un million de rendez-vous pour le mois de mars. L’inoculation des secondes doses de vaccin va prendre le pas, dans les jours qui viennent, sur les premières injections, avec pour le mois de février un total de 1,4 million de secondes doses prévues contre 1 million de primo-injections, avec les vaccins Pfizer et Moderna.
« Cette période d’entre-deux est difficile, reconnaît Jacques Battistoni, à la tête de MG France, principal syndicat chez les médecins généralistes. On a des patients désemparés, qui se sentent vulnérables, ils ne savent pas où ni quand ils vont pouvoir trouver un rendez-vous. » Dès que des plages de rendez-vous sont ouvertes, elles sont très vite saturées, et « font beaucoup de déçus », rapporte le médecin.
« Quand vous avez des patients en pleurs dans votre cabinet, et que vous ne pouvez rien leur répondre ni leur donner de perspective, c’est un vrai problème », pointe Jean-Paul Ortiz, du CSMF, premier syndicat chez les médecins libéraux. Il a fallu aussi gérer le « bazar sans nom » des annulations et des reports des dernières semaines, pointe-t-il.
« Perte de chance » pour les plus précaires
Avec les diminutions de livraisons du groupe Pfizer, fin janvier, et de Moderna, plusieurs régions ont annulé en grand nombre des rendez-vous pour garantir l’administration des secondes doses dans les délais prévus. Quelque 100 000 rendez-vous ont dû être reportés, d’après le ministère de la santé. « Mais de nombreux centres n’ont pas pu redonner de rendez-vous, rapporte le docteur Ortiz. Parce qu’ils étaient déjà tous pris. »
Ce sont dès lors les listes d’attente qui s’allongent. Au centre de vaccination de Clamart (Hauts-de-Seine), 9 000 personnes figurent sur la liste, d’après le docteur Jean-Paul Hamon, président d’honneur de la Fédération des médecins de France (FMF).
Après une semaine « quasiment au point mort », en raison des retards de livraison, avec 70 doses reçues contre 420 habituellement, le médecin reste sceptique sur la suite : « Je ne sais pas s’il y a des doublons avec des rendez-vous pris par des patients dans plusieurs centres, mais au rythme où nous sommes, on n’est pas près d’arriver au bout de la liste, il nous faudrait vingt-deux semaines… »
Les situations de tension se multiplient aussi, à entendre les médecins, quand ces derniers doivent refuser des patients qui ont pris rendez-vous mais ne sont pas éligibles, que ce soit en raison de leur âge ou de leur pathologie (une liste précise permet d’entrer dans la catégorie des patients les plus vulnérables, auxquels la vaccination est aussi ouverte depuis le 18 janvier). « On aimerait vacciner tout le monde, dit Elisabeth Guesdon, généraliste à Sancoins (Cher). Mais on doit rappeler des patients et leur dire que ce n’est pas possible, ils sont parfois très en colère, ils y voient la seule protection, après parfois un an à s’enfermer, dans l’angoisse… »
Une règle pèse de plus en plus lourd sur les épaules des médecins libéraux, à mesure que la campagne avance : celle du « premier arrivé, premier servi » appliquée dans la prise de rendez-vous sur les plates-formes en ligne ou téléphoniques. « On est toujours dans la foire d’empoigne, résume Alice Perrain, généraliste à La Croix-en-Touraine (Indre-et-Loire). Comme dans toute situation de pénurie, ce sont ceux qui ont le plus de ressources, les plus à l’aise avec l’informatique, ceux qui sont accompagnés de leurs enfants, les moins éloignés du soin… qui arrivent à décrocher une place, dit-elle. Les plus précaires, avec le plus de facteurs de risque, restent sur le carreau, et subissent une perte de chance. » De nombreux médecins libéraux demandent, depuis le début de cette campagne grand public, de pouvoir prioriser leurs patients les plus urgents.
Inégalité d’accès
Une inégalité d’accès qui prend des formes différentes selon les territoires. Superviseuse du centre de vaccination du 18e arrondissement de Paris, Agnès Giannotti voit bien que ce ne sont pas ses patients « habituels » qui sont les plus nombreux ces dernières semaines à se faire vacciner, dans cet arrondissement populaire. Ce sont surtout des personnes de « classes privilégiées ». « Ce n’est pas celui qui habite dans un 100 mètres carrés qui a le plus besoin du vaccin, par rapport à un patient qui vit avec plusieurs membres de sa famille dans un deux-pièces, pointe la médecin. Ce critère social, du mode de vie, devrait être pris en compte, il compte dans le risque d’attraper le virus, et l’on sait qu’il y a aussi plus de mortalité dans les quartiers populaires. »
Dans le centre de vaccination de Sancoins, petite ville de 3 000 habitants à 50 km de Bourges, la docteure Guesdon rencontre un autre « souci éthique ». « Nous avons des patients qui viennent se faire vacciner de très loin, de Bourges, ou même de Paris, décrit-elle. En même temps, nous avons nos propres patients qui n’arrivent pas à trouver de rendez-vous… »
Ces derniers jours, un quart seulement des patients vaccinés venaient des communes alentour. Un sacré paradoxe pour ce centre, mis en place par les professionnels de la maison de santé pluriprofessionnelle, justement pour apporter le vaccin à des habitants éloignés des grands centres de santé. « Mais beaucoup de nos patients font preuve d’une patience incroyable », assure-t-elle, alors que 150 personnes sont inscrites sur sa liste d’attente. Avec parfois de bonnes surprises : quand des doses supplémentaires ont été reçues, mardi, elle a pu appeler six de ses patients, venus dans la foulée se faire vacciner.
D’après le ministère de la santé, si le planning des livraisons de vaccins est respecté dans les semaines qui viennent, l’ensemble des plus de 75 ans (hors Ehpad) devraient être vaccinés d’ici à la fin mars ou au plus tard à la mi-avril, selon le degré d’adhésion de cette population. « Notre objectif est d’ouvrir au maximum et le plus vite possible les rendez-vous pour répondre aux attentes, on se rend bien compte qu’elles sont énormes », assure-t-on au ministère.
Par Camille Stromboni, publié dans Le Monde du 13 février 2021