Covid-19: « A notre âge, on veut profiter de ce qui nous reste »
Les autorités ont multiplié les restrictions sanitaires pour protéger les personnes âgées, au détriment de leur vie sociale. Une stratégie clivante et parfois contre-productive.
Pour ses 90 ans, fin août, Francine Sauty, résidente d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à Sartrouville (Yvelines), n’a eu ni fête, ni gâteau, ni bougies. Seule la visite de ses proches a été autorisée, deux par deux dans la chambre maximum mais sans enfants, eux aussi interdits. La vieille dame s’est fait une raison : « C’est la première fois que je n’ai pas de gâteau pour mon anniversaire. C’est bizarre mais c’est pas grave, c’est comme ça. » Avec la résurgence de l’épidémie due au coronavirus, l’établissement est repassé au « niveau deux » sur recommandation de l’agence régionale de santé (ARS), marquant le retour d’une série d’interdictions pour protéger les résidents, dont dix-neuf sont morts du virus depuis le début de la crise, soit un sur cinq.
Depuis le début de la crise sanitaire, les autorités ont multiplié les restrictions et mises en garde à destination des personnes âgées, les plus vulnérables face au Covid-19 (75 % des morts avaient plus de 75 ans), quitte à renforcer leur isolement. Une stratégie menée sans l’avis des premiers concernés, et qui ne fait pas l’unanimité. « Les seniors sont les plus vulnérables mais les moins écoutés, déplore Johan Girard, délégué national des personnes âgées à la Croix-Rouge. Certains ont refusé les visites par peur d’être contaminés, mais d’autres, même à 90 ans, disent : “Oui, je prends le risque, je préfère me sentir vivant et aller voir ma famille, quitte à mourir, mais en restant libre.” Nous devons pouvoir entendre ça. Or, j’ai le sentiment qu’on leur a dénié ce choix », regrette-t-il.
Une enquête publiée en juin par l’association des Petits Frères des pauvres montrait que plus elles avancent en âge, moins les personnes âgées ont peur de sortir malgré l’épidémie : 37 % des 65-69 ans, contre 24 % des 80-84 ans, et seulement 16 % des plus de 90 ans.
A Nancy, Colette, 78 ans, ne décolère pas contre les autorités. « Ils veulent nous couper du monde alors que c’est ridicule, c’est tout le contraire : à notre âge, on veut profiter de ce qui nous reste. » Cette membre assidue de la chorale et des cours de gym de son association de seniors assure être « raisonnable » et faire « très attention » en prenant les précautions nécessaires, mais ne se résout pas à l’idée de devoir rester chez elle et de mettre ses activités entre parenthèses. « Si on n’a plus de vie sociale, qu’est-ce que vous voulez faire ? C’est bien joli la télévision, mais il n’y a personne qui vous répond. »
Ravages de l’isolement
Selon les professionnels du secteur, la crise est révélatrice de la façon dont la société considère les seniors et la vieillesse. « Nous sommes dans une logique quasi mécanique de durée, alors qu’en disant vouloir sortir et voir leurs proches malgré le Covid, les personnes âgées affirment préférer vivre que durer. C’est toute la dualité entre la vie biologique et la vie sociale », explique Thierry Calvat, sociologue et cofondateur du collectif Cercle vulnérabilité et société. En voulant protéger les seniors à tout prix, au détriment du lien social, le gouvernement s’est inscrit dans cette logique de longévité.
Cette stratégie s’est pourtant révélée parfois contre-productive. Dans le Grand-Est, l’Office nancéien des personnes âgées a constaté, dès le déconfinement, les dégâts provoqués par la perte du lien social sur ses 2 700 adhérents. « On a été mis face à des réalités assez cruelles, soupire Radia Djebir, la directrice de l’association. On a découvert des régressions, liées à l’absence de stimulations, et des effets de glissements », une forme de dépression chez les personnes âgées qui se traduit par la perte de leurs capacités physiques et psychiques.
Conscientes des ravages liés à l’isolement forcé des personnes âgées, les autorités revoient désormais leur discours. Dans un entretien accordé au Parisien, le 28 août, Brigitte Bourguignon, ministre déléguée en charge de l’autonomie, reconnaît que l’isolement a « parfois généré des conséquences psychologiques sévères. Nous ferons donc tout pour éviter un reconfinement généralisé des Ehpad. »
En attendant, les personnes âgées composent comme elles peuvent face à la menace de l’épidémie, appelée à durer. En cinq mois, Josette Pichereau, 90 ans et résidente d’un Ehpad, a réussi à passer de la terreur à une forme d’équilibre précaire afin de « profiter de ses proches sans finir malade ». « J’ai très peur de mourir étouffée, mais je me raisonne », dit-elle. Pour ses 90 ans, pendant les vacances d’été, elle a même fait une grande fête de famille. « On était quatre générations. On a tenu nos distances, on ne s’est pas embrassé, et je n’ai rien attrapé. Donc si on fait attention, c’est possible. Je finirai sans doute malade, mais pas du Covid. »
Par Faustine Vincent, Publié dans Le Monde le 04 septembre 2020