Quand les seniors restent sur leur faim (de carrière)…

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Et si on arrêtait de snober les profils expérimentés ? Poussés vers la sortie souvent, jugés chers, avec un taux de chômage élevé, les seniors français connaissent des dernières années au travail difficiles. En faisant cette erreur, les entreprises se coupent d’un vivier de savoirs et d’expériences. Mais surtout, des équipes diversifiées, c’est la promesse d’innover ! N’est-ce pas tout ce dont les entreprises ont besoin aujourd’hui ?

Seniors en entreprises : des fins de carrière souvent douloureuses

« M. D travaillait dans les RH. À 54 ans, on lui a laissé entendre qu’il était trop âgé et qu’il devait quitter l’entreprise. Il a tenu bon jusqu’à 55 ans, mais s’est retrouvé au chômage jusqu’à l’âge de 60 ans où il a pu enfin prendre sa retraite. » ; « Mme S, 45 ans. À la suite de rachats, elle a pour mission de réduire ses effectifs. Insupportable quand on est plutôt habitué à gérer la croissance. (…). À la charrette suivante, elle s’est portée volontaire ne supportant pas ce rôle de "nettoyeur". » ; « M.X , Ingénieur travaux publics. Alors que tout allait bien, son PDG le prend entre quatre yeux et lui dit qu’il a plus jeune et moins cher à mettre à sa place. Négociation et départ de l’intéressé ! » … voici le type de témoignages que l’on peut trouver sur le blog seniormaispastrop.com. La page est animée par une cinquantenaire qui a voulu s’exprimer sur ce qu’elle appelle la « seniorescence », une sorte d’adolescence des quinquas et sur tous les bouleversements qui vont avec ! Et quand elle parle emploi et fin de carrière, l’experte bloggeuse n’y va pas par quatre chemins : « Il y a une constante. Dans 80 à 90 % des cas, la fin de carrière se passe mal. Le salarié est évincé, mis au placard ou licencié. Cela se fait rarement de façon "propre" ». Un constat et un « problème de société » partagé par Anne Thévenet-Abitbol, Directrice Prospective et nouveaux concepts chez Danone qui a créée Octave, une formation « Culture & Change » qui traite de la transformation des entreprises à l’ère du numérique en tirant parti de l’ensemble des générations :« Si à 45 ans tu n’as pas un bon poste, personne ne fait attention à toi et tu as l’impression que tu vas disparaître dans une trappe ».

Le taux d'emploi des seniors, l'un des plus bas en Europe

Fin janvier, Sophie Bellon, présidente du conseil d'administration du groupe de services Sodexo, Jean-Manuel Soussan, directeur des ressources humaines de Bouygues Construction et Olivier Mériaux, ancien directeur général adjoint de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) remettaient au gouvernement un rapport intitulé « Mission sur le maintien en emploi des seniors ».L’enjeu pour l’exécutif ? S’attaquer à l’épineux dossier de l’allongement de la durée de travail des Français avec en ligne de mire, l’amélioration du taux d’emploi des seniors. Tandis que la réforme des retraites revient à petits pas et s’affine chaque semaine un peu plus, il semble urgent de reconsidérer la place des profils les plus expérimentés dans l’entreprise. Faut-il rappeler qu’en 2050, une personne sur trois aura plus de 60 ans en France ? 

Le projet de réforme des retraites avait déjà ouvert le débat sur l’emploi des seniors. Le rapport « Mission sur le maintien en emploi des seniors » remis au gouvernement revient ainsi sur le coût humain, social et financier insoutenable pour les générations futures de cette mise à l’écart des profils expérimentés. « Il y a urgence à agir face à un problème de société "complexe" et "façonné" sur une période de temps très longue notamment par les politiques publiques, à rebours des évolutions démographiques et sociologiques »explique Sophie Bellon, co-autrice du rapport. Il faut dire que jusqu’ici, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux ont privilégié le retrait des seniors du marché du travail, afin de favoriser l'emploi des autres tranches d'âges. Tandis que le taux d’emploi des salariés âgés de 55 à 65 ans a progressé ces dernières années, en passant de 36,4 % en 2003 à 52,3 % au premier trimestre 2019, le taux d’emploi des 60 - 64 ans fait toujours grise mine ! En France, il est de 32,2% contre 45,1% pour l’Union Européenne

Si les seniors sont exclus, c’est parce qu’ils coûtent cher à l’entreprise. Mais pas seulement, la digitalisation croissante des organisations impliquent des coûts de formation jugés trop importants pour les ressources humaines qui préfèrent se diriger vers des profils plus jeunes et déjà opérationnels. Résultat, quand ils ont encore la chance de conserver leur travail, les seniors vivent souvent des situations de « mise au placard »et s’ennuient. Et parfois subissent même des situations de bore-out, comme ce qu’a vécu Frédéric Desnard, un salarié dont on a tout récemment reconnu une situation d’épuisement par l’ennui et qui a fait condamner son employeur aux prud’hommes, dans le tout premier procès du bore-out de France

Le défi du réengagement des profils expérimentés.

Réengager les seniors va vite devenir une question de vie ou de mort économique pour notre pays. La première phase est un changement de regard sur ceux que l’on appelait, encore hier, les seniors. « La tendance au vieillissement de la sociétéest l’occasion de réaliser que la vieillesse est une richesse. La transition de notre économie vers un paradigme plus artisanal nous permettra de comprendre que l’avenir, c’est les vieux »prédit Laetitia Vitaud, experte du futur du travail et de la consommation. Parce qu’ils ont évolué dans une société moins digitalisée et mondialisée ? En attendant : « Le modèle classique des trois âges de la vie bien définis (formation avec l’école et les études, travail et repos avec la retraite) est en train d’exploser », note également l’experte.

Mais alors, comment conserver les profils les plus expérimentés dans son entreprise ? Et freiner ce qu’on appelle aujourd’hui « l’obsolescence » des compétences, autre point noir de la vie professionnelle des seniors ? Et si comme le soutient, Laëtitia Vitaud, nos représentations pouvaient vraiment changer la donne ? « Il ne faut plus parler de "seniors", il faut parler de "travailleurs expérimentés". L'expérience a de la valeur », pense Sophie Bellon. Son rapport « Mission sur le maintien en emploi des seniors »préconise également des bilans de compétences à partir de vingt ans d’expérience, un accès facilité aux statuts de tuteur ou de maître d'apprentissage avec formation préalable ou encore le déplafonnement du compte personnel de formation au-delà de 45 ans par accord d'entreprise. Le rapport évoque également l’obligation pour les grosses entreprises (+ de 300 salariés) d’établir un plan d'action unilatéral en cas d'échec de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, sur le modèle de ce qui se fait déjà en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Et McKinsey abonde dans le même sens ! La pandémie entraînera une diminution de main d’œuvre potentielle dit le cabinet de conseil qui recommande aux entreprises d’investir massivement dans la formation continue, voire dans la requalification de leurs travailleurs. « L’enjeu pour l’entreprise sera de renforcer sa responsabilité sociale en fidélisant et en améliorant constamment son capital humain », explique l’étude « Le futur du travail en Europe ». Un futur avec toutes les générations présentes et engagées dans l’entreprise ?

Publié dans l’ADN, le 24 juin 2020

https://www.ladn.eu/media-mutants/club-landoy/quand-les-seniors-restent-sur-leur-faim-de-carrieres/

Quand les seniors restent sur leur faim (de carrière)…

Publié dans Retraite

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