"Je ne suis pas maitresse d'école, mais j'ai joué un rôle"
De nombreux grands-parents ont endossé un rôle de professeur pour leurs petits enfants pendant et après le confinement.
Pendant la crise du coronavirus, suivre les devoirs des enfants en plus du télétravail a été un défi pour de nombreux parents. Certains ont fait appel aux grands-parents, par écrans interposés, pour assurer la classe.
« Ma grand-mère est forte en histoire et en français, mon grand-père préfère les maths, la SVT et la techno. » Dimitri, 12 ans, aura appris beaucoup de choses pendant le confinement. Et, entre autres, que ses grands-parents font d’excellents répétiteurs. Confiné en Bretagne avec ses parents et son petit frère, ce collégien d’un établissement privé du 12e arrondissement de Paris s’est vite senti noyé sous la masse des devoirs à faire « à distance », qui « arrivaient de partout », parfois par mail, parfois sur la plate-forme numérique du collège.
Un dimanche, sur Facetime, ses grands-parents paternels lui ont proposé de l’aider. Et depuis, André et Lucette se répartissent les matières. Ils disposent des identifiants de leur petit-fils sur l’espace numérique de travail (ENT) utilisé par le collège. « On s’y met à 9 h 30, on regarde ce qu’il y a à faire et on organise la journée en fonction, explique Dimitri, qui a répondu à un appel à témoignages publié sur lemonde.fr. Avant, je ne faisais pas l’histoire-géo, la techno et la SVT parce que je ne comprenais pas ce qu’il fallait faire, parce qu’il y en avait trop. Maintenant, on en vient à bout. »
Avec la fermeture des écoles, le 16 mars, et jusqu’à aujourd’hui – le déconfinement scolaire concernant toujours une minorité d’élèves – les parents se sont retrouvés à jongler entre télétravail, gestion des tâches ménagères et devoirs des enfants. Pour certaines familles, faire assurer « l’école à la maison » par les grands-parents a été la solution.
Charlotte, qui préfère garder l’anonymat, s’est retrouvée confinée dans son trois-pièces de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) avec son conjoint et ses jumeaux, Raphaël et Laura, en classe de CP. « Mi-avril, ma fille m’a confié qu’elle n’y arrivait pas, raconte sa mère, Michelle, qui vit sur le bassin d’Arcachon. J’ai proposé de leur faire faire une séance de lecture sur Facetime. On a essayé, pas forcément très convaincues… Et ça a incroyablement bien marché ! »
« Les petits sont appliqués »
Depuis, les enfants ont rendez-vous chaque jour avec leur grand-mère pour des séances de deux heures et demie chacun : l’un le matin, et l’autre l’après-midi. « Les petits jouent le jeu, constate Michelle. Ils sont concentrés, appliqués, ils ont compris que ce temps avec leur mamie était un temps d’école et non un temps pour s’amuser. »
Pour Charlotte, ce soutien a tout changé. « Au début du confinement, je venais de prendre un nouveau poste, raconte-t-elle. Je gérais l’école par à-coups. Entre deux appels, je disais “ok les enfants, on a une heure pour faire les devoirs”. Mais ça ne fonctionnait pas. Il faut pouvoir y consacrer du temps long et être structuré. » Le rythme de l’école sur Facetime a changé depuis la reprise de l’école « en présentiel », deux jours par semaine, mais les enfants continuent à voir leur grand-mère les deux jours restants.
« Extrêmement gratifiant »
Pour les grands-parents qui se sont improvisés « professeurs » à distance, assurer le suivi du travail scolaire a été l’occasion de maintenir un lien mis à l’épreuve par le confinement. « Le contact quotidien avec eux a développé d’autres choses », explique André, le grand-père de Dimitri. Un lien journalier qui n’est pas le même que celui des seules vacances scolaires. « On sent qu’eux aussi ont apprécié, ajoute André. Ils nous le disent et leurs parents aussi. Et ça, c’est extrêmement gratifiant. »
Les grands-parents rapportent en effet avoir « appris des choses », tant dans l’usage des outils numériques que sur les programmes scolaires. Ils disent s’être sentis « utiles »,voire « honorés » de faire progresser leurs petits-enfants. « Je ne suis pas maîtresse d’école, c’est sûr, dit ainsi Michelle. Mais je vois bien, maintenant que l’école a repris, qu’ils ne sont pas en retard sur le programme. Et je sais que j’ai joué un rôle là-dedans. »
Avec une plus-value certaine par rapport aux devoirs faits par les parents : « Ma fille me dit qu’ils sont plus disciplinés avec moi qu’avec elle, ils font moins la comédie », avance Claude Philiponnet, médecin du travail à la retraite qui a fait « l’école à la maison » depuis Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) pour deux petits Parisiens. « Les devoirs à la maison sont une source importante de tension entre parents et enfants, abonde le pédagogue Philippe Meirieu. Pour les parents, l’échec dans les devoirs est comme une mise en cause de leur autorité. »
Les grands-parents, par leur « relation affective » avec leurs petits-enfants, sont des personnes « tierces » essentielles dans l’éducation, avance le pédagogue. « Ils sont à une place qui leur permet d’apprendre des choses aux enfants, sans entrer dans un bras de fer si ça ne fonctionne pas. »
Par Violaine Morin dans Le Monde du 12 juin 2020