Face à la polémique sur les dividendes, les groupes d'Ehpad nagent entre deux eaux
Entre stratégie de maintien de la valeur de leurs titres et décisions en ligne avec les attentes du grand public et des syndicats, les groupes d'Ehpad cotés en bourse opèrent des choix variables quant au versement des dividendes à leurs actionnaires. Quelle que soit l'option retenue, le soutien aux salariés compte parmi les arguments.
Après avoir dévissé à l'annonce du confinement, les marchés financiers accusent un nouveau coup. En cette période où la solidarité et l'entraide sont de mise, l'État, au travers des interventions médiatiques des ministres de l'Économie et du Travail, Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud, a appelé à l'exemplarité.
Sous la pression des organisations syndicales, dont dix-huit d'entre elles ont signé le 27 mars dernier sur France Info une tribune pour demander la suspension immédiate et l'encadrement à moyen terme du versement des dividendes et le rachat d'actions dans les entreprises, Bercy s'est ainsi positionné. Prêt garanti par l'État, fonds de solidarité, report de charge... les entreprises qui bénéficieront des aides de l'État déployées dans le cadre de l'épidémie de Covid-19, ont interdiction de verser des dividendes. Quant aux entreprises qui auraient bénéficié de reports de charges sociales ou fiscales et qui auraient versé des dividendes, elles "se verront obligées de rembourser cette avance de trésorerie sur les charges sociales et fiscales avec une pénalité d'intérêt", a signalé Bruno Le Mairesur BFM TV le 30 mars dernier. Pour celles qui auraient recours au chômage partiel, le ministre a enfin appelé à la "modération".
Les dividendes d'Orpéa pour "remercier les salariés"
Dans ce contexte et devant la fureur du grand public face au maintien de dividendes de certaines grandes entreprises comme Sanofi, plusieurs sociétés ont pris le parti d'annuler le versement de la rétribution de leurs actionnaires. C'est notamment le cas d'Orpéa, dont le conseil d'administration a décidé le 23 avril dernier, à l’initiative de la direction générale, "exceptionnellement, de ne pas proposer de distribution de dividendes au titre de l'exercice 2019". Une première depuis 2008, date d'entrée du groupe sur le marché.
Par cette décision, "le groupe souhaite ainsi marquer sa solidarité avec toutes ses parties prenantes : résidents, familles et patients, salariés, partenaires financiers, ainsi que les pouvoirs publics et les autorités de tutelle", précise-t-il par communiqué du 24 avril. Les 84 millions d'euros (M€) initialement prévus à l'actionnariat, précise-t-il à Hospimedia, permettront de renforcer les fonds propres du groupe, de "remercier les salariés pour leur engagement" et, éventuellement, de saisir des opportunités de développement.
Korian, autre poids lourd sur le marché de la dépendance, s'est quant à lui positionné ce 29 avril au soir, date de publication de son chiffre d'affaires du premier trimestre 2020. Lors de la présentation de ses résultats 2019, le groupe avait annoncé que le conseil d'administration soumettrait à l'approbation des actionnaires, le 28 mai prochain, la distribution d'un dividende relevé de 6 centimes d'euros à 0,66 € par action, soit un versement total de 54,6 M€. Il n'en sera rien. La société explique dans un communiqué qu'elle a décidé de retirer des résolutions proposées à l’assemblée générale la distribution de son dividende. Elle "souhaite mobiliser tous les moyens au bénéfice de l’ensemble de ses parties prenantes".
Sa directrice générale, Sophie Boissard, au même titre que le président du conseil d'administration, Christian Chautard, et ses administrateurs, réduiront également leur rémunération 2020 de 25%. Celle-ci s'évaluait pour 2019 à respectivement 945 000 € et 345 000 € bruts annuels. Un montant qui sera notamment redirigé pour la création d'un fonds de solidarité Covid-19 d'un montant d'1 M€ dédié au financement de projets de recherche contre le Covid-19 et d'actions de solidarité pour les soignants et leurs familles. Des actions de solidarités qui prendront notamment la forme de primes exceptionnelles pour les salariés.
Une proposition de loi dans les tuyaux
Le 7 avril dernier, le député Boris Vallaud (Landes, socialistes et apparentés) a déposé une proposition de loi tendant à interdire le versement de dividendes en 2020 aux sociétés ayant bénéficié de la solidarité nationale dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Face à cette "crise de l'économie réelle qui s'étend à l'économie financière", responsable de la destruction de près de 19 milliards d'euros de produit intérieur brut (PIB) chaque semaine de confinement, le texte demande à inscrire l'engagement de Bruno Le Maire dans la loi. À savoir, l'interdiction du versement de dividendes aux entreprises "ayant bénéficié d'au moins une des aides directe ou indirecte de l'État mises en œuvre pour amortir les effets économiques de la crise", y compris le dispositif d'activité partielle. Ce, quelle que soit leur forme juridique, dans la mesure où leur bilan est supérieur à 20 M€ et leur chiffre d'affaires supérieur à 40 M€.LNA Santé : un sujet "longuement débattu"
Un chemin que n'a pas emprunté LNA Santé. "Le sujet a longuement été débattu par notre comité d'administration", admet Damien Billard, directeur général délégué aux finances. Finalement, l'opérateur a choisi de maintenir le versement de ses dividendes, dont le montant total avoisine les 4 M€. Une position "équilibrée", estime le directeur, alors que le taux de rétribution de 20% table largement en deçà des taux observés sur le secteur (30% à 35% en moyenne, dont 35% pour Orpéa et 40% pour Korian). Le groupe, qui souligne au passage la "financiarisation de l'économie" avec l'introduction de fonds d'investissement parmi les grands groupes du secteur, espère également ménager son actionnariat, principalement "familial"*, et ainsi préserver l'indice de cotation du titre, déjà fortement malmené sur le cours boursier (lire encadré).
Pour ses 6 000 petits porteurs (investisseurs disposant d'une médiane de 100 titres, soit un quart de l'actionnariat du groupe), le montant des dividendes atteindra tout juste 45 €, pour un taux d'intérêt de 1%. "C'est un petit signal mais nous espérons que ce sera suffisant pour qu'ils continuent de nous accompagner malgré le décrochage du cours de bourse", poursuit Damien Billard. La décision, appuie encore le groupe, entend également "ne pas décevoir les salariés". Aides-soignants, infirmiers, médecins... Au total, 3 850 professionnels comptent parmi l'actionnariat du groupe (3%) via le fonds d'investissement Nobelia. Représentatif de 40% de leur épargne salariale, le fonds représente un encours de 2 M€.
Publié le 30 avril sur Hospimédia.