Vieillissement : l’outre-mer face à un « défi complexe et violent »

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Un rapport de deux députées alerte sur les conséquences à venir du vieillissement des populations dans les territoires d’outre-mer, alors que ceux-ci sont déjà fragiles économiquement.

On imagine souvent les territoires d’outre-mer comme des sociétés jeunes, confrontés à une démographie dynamique. Dans les faits, la situation est bien différente, et le vieillissement de la population y est plus sensible encore qu’en métropole. Publié la semaine dernière, un rapport parlementaire rédigé par les députées Stéphanie Atger (LREM) et sa collègue autrefois ministre des Outre-mer Ericka Bereigts (PS) se penche sur ce sujet et tire un bilan alarmant.

La pyramide des âges des outre-mer, Guyane et Mayotte mis à part, a bien changé en cinquante ans. Ces territoires sont désormais frappés par un « vieillissement très rapide de leur population », avec une part de 65 ans et plus multipliée « par 1,5 dans chacun de ces départements entre 1999 et 2014 », relèvent les élues du palais Bourbon. Une analyse qui corrobore les chiffres de l’Insee: en 1990, 7,1% de la population des départements d’outre-mer avait plus de 65 ans, contre 13,9% pour les habitants de la métropole. Trente ans plus tard, ces proportions sont passées respectivement à 13,7% et 20,7%.

Ce phénomène de vieillissement de la population a été particulièrement rapide dans les départements d’outre-mer, la transition ayant été accélérée par rapport à la métropole. Il devrait se poursuivre et même se renforcer, creusant l’écart avec le reste du pays : « les projections à l’horizon 2030 laissent supposer une pyramide des âges très déséquilibrée », faisant de la Martinique le département le plus vieux de France en 2050, alors qu’il n’était qu’à la 74ème place il y a sept ans. Ainsi, « il y aura 134 seniors pour 100 jeunes en Guadeloupe en 2030 contre 54 seniors pour 100 jeunes en 2013 », citent les députées comme exemple. Des disparités locales subsistent toutefois: la Guyane peut ainsi compter sur une population restant jeune, de même que Mayotte, marquée par une immigration importante ainsi que la natalité la plus active de France.

Cette surreprésentation de personnes âgées de 60 ans et plus dans ces territoires s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord, une transition démographique rapide, avec moins d’enfants par femme. Ensuite, la venue de personnes retraitées, attirées par le cadre de vie et le climat. Également, un « exode des jeunes actifs », et notamment les plus fortunés, partant chercher du travail en Europe et ailleurs. « Le retour au pays, à l’âge de la retraite, accentue ce phénomène », ajoute Stéphanie Atger.

     De mauvaises conditions de vie pour les personnes âgées

La problématique du vieillissement se complique toutefois du fait de la situation socio-économique de ces territoires, moins fortunés et plus fragiles que la métropole. « Les populations ultra-marines sont en moins bonne santé » et deviennent donc dépendantes plus vite que leurs semblables des autres zones. Surcharge pondérale, infrastructures de santé de moins bonne qualité et moins nombreuses, manque de personnels, diabète, problèmes cardiovasculaires et mauvaise santé bucco-dentaire… De nombreux problèmes viennent compliquer le vieillissement des habitants et limitent l’espérance de vie.

Résultat : «la part de seniors en perte d’autonomie est plus élevée dans les départements et collectivités d’outre-mer qu’en moyenne nationale ». Et ce, alors que les infrastructures sont clairement insuffisantes dans ces territoires : le parc d’EHPAD est «déficient et vieillissant», avec une offre « deux à trois fois inférieure dans les outre-mer à ce qu’elle était au niveau national », en 2015 et des établissements «vétustes voire délabrés». De surcroît, les places en EHPAD sont chères, un coût accentué par l’insuffisance de l’offre, par les importations de produits comme de médicaments. Ces sommes doivent être observées par rapport au niveau de vie local, bien moins élevé que la moyenne nationale. Ce fort décalage peut expliquer en partie pourquoi seuls 1% des seniors guadeloupéens sont en EHPAD, par exemple : « essentiellement pour des raisons financières ».

     « Les outre-mer seront les premiers et les plus rapidement touchés par le vieillissement de leur population »

Le rapport conseille donc aux pouvoirs publics de se pencher plus avant sur ce dossier, afin de mieux accompagner les populations, tout en profitant du « réservoir d’emplois » et du potentiel économique que représente le grand âge. Plusieurs pistes sont avancées. D’abord, en amont, une politique de prévention visant à reculer la dépendance des individus, en favorisant notamment une meilleure hygiène de vie ainsi qu’un maintien en activité. Ensuite, une amélioration de l’information des retraités sur leurs droits et sur la maladie d’Alzheimer. Les élues suggèrent également de développer les infrastructures, notamment en créant de nouvelles « résidences autonomie » en outre-mer et en faisant appel aux nouvelles technologies, par exemple via la télémédecine et la surveillance du patient resté à domicile. Les aidants doivent parallèlement être appuyés, et les métiers visant à prendre en charge les personnes dépendantes doivent être rendus plus attractifs, avance le document.

Présentant le rapport à l’AssembléeStéphanie Atger a précisé que ce document visait à enrichir les discussions dans le cadre du futur projet de loi visant à financer la dépendance. « Les outre-mer seront les premiers et les plus rapidement touchés par le vieillissement de leur population, et doivent montrer le chemin à suivre aux autres territoires », s’est-elle justifiée. Sa collègue a appelé les autorités à mettre en place une « démarche innovante », adaptée à chaque territoire, pour faire face efficacement au défi « extrêmement important, complexe et violent » du grand âge. Le temps presse, a-t-elle ajouté, citant le cas de la Réunion, où tout se jouera « dans les dix prochaines années ». En outre, ces territoires atypiques nécessiteront parfois des « propositions qui ne seront pas forcément entendues par tous au niveau national », a averti l’ancienne ministre, ajoutant qu’il leur faudrait une « force de persuasion collective » pour faire accepter ces idées.

Par Wladimir Garcin-Berson dans Le Figaro du 10 février 

https://www.lefigaro.fr/social/vieillissement-l-outre-mer-face-a-un-defi-complexe-et-violent-2020021

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