La réforme des retraites au défi de l’emploi des seniors
Les règles du système de retraite ont un impact fort sur l’activité des seniors, mais l’effet sur le maintien ou le retour dans l’emploi est loin d’être mécanique. Prolonger les carrières suppose aussi d’agir de manière préventive sur la qualité de vie au travail pour permettre à chacun de choisir réellement le moment de son départ.
Un groupe d’experts a remis mardi au gouvernement un rapport sur le travail des salariés en fin de carrière.
C’est un sujet central pour la réforme des retraites sur lequel l’exécutif se penche tardivement. Dix jours avant la présentation en conseil des ministres du projet de loi instituant un système universel de pensions, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, devait recevoir, mardi 14 janvier, un rapport visant à « favoriser » l’activité professionnelle des personnes en fin de carrière. Le chef du gouvernement, Edouard Philippe, avait annoncé, le 12 septembre 2019, qu’il confiait cette mission de réflexion à Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration de Sodexo, Olivier Mériaux, ancien directeur général adjoint de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), et Jean-Manuel Soussan, directeur des ressources humaines de Bouygues Construction. Dans un document d’une centaine de pages très denses, ces trois personnalités formulent une quarantaine de propositions destinées à développer le « maintien en emploi des seniors ».
La problématique étudiée est cruciale, au moment où l’exécutif veut encourager les hommes et les femmes à travailler « un peu plus longtemps » : il s’agit de tout faire pour qu’ils soient encore en poste, lorsqu’ils réclament le versement de leurs pensions. « Résoudre ce problème de société est urgent, mais cela ne pourra se faire sur le temps court », préviennent d’emblée les auteurs du rapport. A leurs yeux, la mise en œuvre de solutions ne peut pas intervenir uniquement à l’occasion du débat sur le futur régime universel : il faudra agir de « manière plus structurelle » pour que « l’ensemble de notre société » s’engage, sur la durée, à modifier ses « pratiques » et ses « représentations » à l’égard des « travailleurs expérimentés ».
Le constat est connu de longue date. La proportion de seniors en emploi a nettement augmenté ces vingt dernières années. Un phénomène imputable, notamment, aux réformes prises pour retarder l’âge de départ en retraite et aux mesures restreignant les dispositifs de cessation anticipée d’activité (les préretraites, en particulier). Mais la situation demeure disparate, selon les tranches d’âge : alors que le taux d’emploi des personnes ayant de 50 à 54 ans s’établit, en 2018, à 80,5 % (soit presque au même niveau que pour les 25-49 ans), celui des 55-59 ans se limite à 72,1 %. Le résultat est encore plus faible pour les 60-64 ans (31 %), ce qui place la France en queue de peloton des pays de l’Union européenne (44,4 % pour cette même catégorie d’âge) et à l’échelon de l’Organisation de coopération et de développement économiques (51,4 %).
Retraite progressive
Autre point noir : le taux de chômage des seniors, tout en étant inférieur à celui de l’ensemble des actifs, a augmenté dans notre pays, se situant en 2018 à 6,5 % pour les 55 ans et plus, contre 4,3 % en 2007. Lorsqu’ils sont inscrits à Pôle emploi, les « travailleurs expérimentés » rencontrent « des difficultés plus importantes »que les autres pour retrouver un poste. En outre, une « proportion sensible » des assurés passent par des périodes de chômage ou d’inactivité, entre le moment où ils quittent définitivement le marché du travail et celui où ils font valoir leurs droits à la retraite : ainsi, sur la période 2016-2018, « à l’âge de 60 ans, près de 28 % des personnes ne sont (…) ni en emploi ni à la retraite ». Du coup, le nombre de seniors bénéficiant de l’assurance-chômage ou d’un minimum social (RSA...) s’est accru.
Pour améliorer la situation, le rapport formule des recommandations très techniques, structurées autour de cinq grands axes. Tout d’abord, le système de santé au travail, qui va faire l’objet d’une transformation profonde, devra placer la « prévention de l’usure professionnelle » et les « enjeux du vieillissement » au cœur de ses missions, « en veillant notamment à une meilleure synergie entre la médecine du travail, le médecin traitant et les employeurs ». Les trois auteurs pensent par ailleurs qu’il faut muscler l’investissement en formation des salariés parvenus à mi-carrière, pour éviter que leurs compétences ne deviennent obsolètes et faciliter leur reconversion. Est également suggérée la création d’un mécanisme pour que les individus utilisent, deux ans avant le départ en retraite, leur compte personnel de formation de manière à se préparer à des mandats associatifs ou politiques (quand ils auront liquidé leur pension).
Impératif de « faire évoluer les représentations » liées à l’âge
L’accent est aussi mis sur les « transitions et les mobilités professionnelles », dans l’optique d’un maintien en activité : cela passe – entre autres – par la simplification des procédures de mise à disposition de salariés au sein d’un même groupe et par la création de « plafes-formes de services », permettant de « mieux organiser » le marché de l’emploi des seniors. Les signataires du rapport insistent également sur la nécessité d’offrir la possibilité aux personnes de lever le pied, à l’approche de la soixantaine – par exemple en développant le dispositif de la retraite progressive, qui permet de cumuler une partie de sa pension tout en travaillant à temps partiel. Une orientation déjà retenue dans la réforme portée par l’exécutif.
Enfin, il est impératif de « faire évoluer les représentations » liées à l’âge, notamment en lançant des programmes d’études qui mettent en valeur la « corrélation positive » entre coexistence de plusieurs générations au sein d’une entreprise et les performances réalisées par celle-ci.
Toutes ces préconisations « ne doivent pas masquer la nature essentiellement culturelle des transformations » à impulser, souligne le rapport. Si l’on veut « sortir de la “préférence collective” pour les départs anticipés », qui demeure prégnante aujourd’hui, chez beaucoup de patrons, de responsables syndicaux et de salariés, il serait souhaitable de définir une « stratégie nationale », animée par une « délégation interministérielle au vieillissement actif », afin de mobiliser toutes les parties prenantes : décideurs politiques, partenaires sociaux, chercheurs et au-delà l’ensemble de la « société civile ».
Vaste programme !!!
article de Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières
Publié le 14/01/ 2020 par Le Monde
Voir aussi l'article des Échos : Emploi des seniors: les 5 pistes pour leur permettre de travailler plus longtemps.