Oreilles en ballade : Patrimoine et mémoire, un bon mix intergénérationnel -12-
Sur le vif :
«Le projet a apporté de la convivialité dans le village. Cela m’a permis, à moi qui ne suis pas originaire d’ici, de compléter mon intégration. Les habitants étaient contents de voir que je cherchais à mettre le village et eux-mêmes en valeur. Certains n’étaient pas conscients de la valeur de leur mémoire, de leur capacité à transmettre la culture locale» Une élue de la commune du Bas-Ségala en Aveyron.
«C’est génial, aujourd’hui je sais que ma grand-mère a des choses à me raconter, et que je peux lui poser des questions» Une jeune élève ayant participé à la création du parcours enfant d’Oreilles en ballade.
Afin de mettre en valeur le patrimoine de leur village et de participer à la conservation de la mémoire, les habitants de la petite commune de Prévinquières en Aveyron ont créé ensemble un parcours sonore basé sur le témoignage des villageois, des plus jeunes aux plus âgés. Sa réalisation a été l’occasion de redonner confiance aux personnes âgées en leur valeur au sein de la communauté, de créer du lien entre natifs du village et nouveaux arrivants, entre élus et citoyens, et entre les générations. L’initiative a su faire naître une certaine convivialité au sein du village, tandis que l’augmentation du nombre de visiteurs a dynamisé le territoire.
Le petit village de Prévinquières (300 habitants répartis en 33 hameaux et un bourg principal) est niché dans la vallée de l’Aveyron, à mi-chemin entre Villefranche-de-Rouergue et Rodez. Cette région, riche de son patrimoine historique et d’une nature propice à la pratique de nombreux loisirs, a été labellisé « Pays d’art et d’histoire des Bastides de Rouergue » et attire chaque année de nombreux touristes.
Intégré à la communauté de commune Aveyron Ségala Viaur, Prévinquières est cependant confronté aux évolutions du monde rural. Le territoire compte aujourd’hui 60 % de retraités, dont beaucoup revenus tardivement dans leur région d’origine. Il connait également l’arrivée de néo ruraux, aux modes de vie et aux besoins différents des habitants de longue date, notamment en matière d’offre culturelle. Aussi, la Communauté de commune gère le Centre Culturel Aveyron Ségala Viaur (CCASV) un des équipements facteurs d’attractivité et de dynamisme pour le territoire.
Depuis 2010, sa directrice, documentariste à France Culture pendant 18 ans, développe un secteur audio qui propose des formations et des activités autour de la radio, destinées aux professionnels de l’animation et de l’éducation nationale comme aux habitants. C’est ainsi qu’est née une radio temporaire « Radio sans fréquence », animée par des séniors de la Communauté de communes et dont les émissions, consacrées au patrimoine local, sont relayées deux à trois fois par an sur les ondes de Radio Francas, une radio locale. A l’occasion d’une émission sur Prévinquières, le Maire fait part de son désir de valoriser son patrimoine et de mieux positionner son village dans l’offre touristique déjà très riche. La directrice du Centre Culturel lui propose alors d’expérimenter un projet sur lequel travaille le CCASV : Oreilles en ballade. Il s’agit d’implanter dans le village un parcours touristique sonore, mettant en valeur le petit patrimoine local (bâtiments, événements, vieux métiers…), en impliquant les habitants dans la sélection des lieux et le recueil de la mémoire des anciens. Un premier parcours sonore est réalisé à partir de 2014. Il a permis de développer une méthodologie, proposée à d’autres villages du Pays d’Art et d’Histoire des Bastides de Rouergue. Huit communes se sont déjà lancées dans l’aventure, l’idée à terme étant de relier les différents parcours et de créer des parcours thématiques transversaux.
Les parcours « Oreilles en balades » relient sur une même commune plusieurs points d’intérêts patrimoniaux (forges, moulins, ancien maquis…) matérialisés par des bornes audio. En se connectant à ces bornes, soit à l’aide d’un audioguide fourni gratuitement aux visiteurs, soit avec son propre smartphone et un QR Code, le visiteur est plongé dans une véritable ambiance sonore et reçoit les explications et témoignages recueillis auprès des habitants. Une seconde version destinée aux enfants fait l’objet d’un projet pédagogique avec l’école de la commune, impliquant élèves, professeurs et animateurs périscolaire.
Recueillir le mémoire des anciens
Le premier parcours « Oreilles en balade » s’est ainsi mis en place de manière empirique. La directrice du CCASV et le maire de Prévinquières ont utilisé leurs liens avec les habitants pour repérer des personnes à interroger, que ce soit pour leur talent de conteur, leur connaissance de l’histoire ou simplement leur vécu, tout en tâchant de ménager les sensibilités, fortes dans une petite commune. A Prévinquières, ce sont plus de 30 personnes, interviewées par l’équipe du CCASV, qui interviennent sur l’ensemble de la balade. Il a parfois fallu insister auprès de personnes âgées qui ne souhaitaient pas témoigner face au micro, par souci de ne pas se mettre en avant, par manque de confiance en leurs propres capacités ou par simple timidité. C’est le devoir de mémoire qui les a convaincues de témoigner pour les prochaines générations sur la Grande guerre, sur la résistance, ou simplement sur la vie dans le village il y a quelques décennies. L’intérêt porté par les plus jeunes à ces souvenirs d’une époque révolue a réjoui les anciens, dont certains ont exhumé des clichés d’époque et raconté des anecdotes historiques que l’on ne trouve pas toujours dans les livres d’histoire.
Une année de travail avec les élèves
Quant au parcours enfant, sa réalisation par les élèves s’inscrit dans l’éducation au patrimoine qui fait partie intégrante du programme d’histoire des arts, de l’école primaire au lycée. Il réunit les témoignages d’habitants de tous âges interviewés par les enfants.
Le travail qui s’étale sur une année scolaire, est l’occasion pour les enfants de mettre en pratique l’enseignement traditionnel tout en développant de nouvelles compétences. Ils apprennent à s’exprimer clairement, à écouter l’autre, à mener des recherches historiques et patrimoniales, à préparer et conduire une interview, à utiliser un logiciel de montage (Audacity). Le projet leur permet de développer leur sens de l’observation et d’éveiller leur curiosité envers le patrimoine et l’histoire du village comme envers les personnes âgées de leur entourage, qu’ils voient sous un jour nouveau. Le travail autour d’Oreilles en ballade a été l’occasion également d’harmoniser les différents temps de l’enfant : enseignants et animateurs periscolaires travaillent sur le même projet, tandis que les familles ont été sollicitées pour transmettre aux enfants leur connaissance sur le patrimoine local.
Une formation à la prise de son et aux bases du documentaire sonore à destination des enseignants et animateurs des communes participantes a été créée en partenariats avec la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) et la Direction des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN). Ces deux jours permettent aux volontaires de monter en compétence et de pouvoir guider leurs élèves dans la réalisation du parcours. L’objectif est que cette formation prenne la forme d’une formation-action de quatre jours répartis sur l’année afin d’être au plus proche des problématiques rencontrées.
Impulser une dynamique de territoire
Sur la base de l’expérience de Prévinquières, un guide a été conçu pour accompagner les dix communes pressenties pour mettre en place Oreilles en balade sur leur territoire et les guider dans les différentes étapes de la mise en place du parcours :
- La validation en Conseil Municipal
- La réunion publique, organisée afin d’inviter les habitants à désigner six lieux de leur village qu’ils souhaiteraient mettre en valeur, ainsi que des personnes à interroger
- La constitution du comité de pilotage, pour valider les choix de la réunion publique et les réalisations finales. Il réunit les élus référents du village concerné, un animateur de l’architecture et du patrimoine du Pays d’art et d’histoire des Bastides du Rouergue, et un représentant du CCASV.
La maîtrise d’œuvre est quant à elle assurée par l’équipe de réalisation sonore du Centre Culturel, qui réalise le parcours adulte de la prise de son au montage, et finalise les documents sonores produits par les élèves. Une participation de 3000 euros est demandée aux communes, sur la base de dix communes participantes. Le reste est financé grâce à l’obtention de subventions par le CCASV.
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