Métiers du grand âge : urgence
Myriam El Khomri, l’ancienne ministre du Travail, vient de rendre un rapport à la ministre de la Santé sur les métiers du grand âge et de l’autonomie. Après le rapport Libault, il sonne comme un rappel à l’ordre alors que le vieillissement de la population va accroître le nombre de personnes âgées dépendantes et qu’il est de plus en plus difficile de recruter des personnels compétents. Et plus qu’un rapport, c’est d’un plan d’action dont il s’agit qui aborde les questions de postes, de rémunérations, de salaires, de formation mais aussi les questions éthiques du vivre-ensemble. Des propositions et une vision ambitieuses pour poursuivre les concertations actuelles et bâtir le projet de loi dépendance prévu par le gouvernement. Il y a urgence.
Un diagnostic édifiant
Les métiers d’aide-soignant et d’accompagnant éducatif et social dans les maisons de retraite et les services d’aide à domicile sont « peu attractifs ». Le rapport souligne que les salariés y sont « peu considérés » et si mal payés qu’on compte dans ce secteur 17,5 % de ménages pauvres, contre 6,5 % pour l’ensemble des salariés. Le secteur est l’un des plus féminisé qui soit et cumule toutes les difficultés liées aux métiers dits « féminins » et en particulier les inégalités salariales et l’abus de temps partiel.
Les métiers du grand âge connaissent d’importantes difficultés de recrutement et une forte pénibilité car les salarié(e)s sont soumis à des rythmes inhumains et surexposés au risque d’accident du travail. La fréquence des accidents du travail est en effet trois fois plus élevée que la moyenne nationale. Elle est encore plus forte que dans le BTP. Il n’est donc pas étonnant qu’en six ans on constate une baisse de 25 % des candidatures aux concours d’accès d’aides-soignants.
Alors que, dans le même temps, 92 000 Français supplémentaires devraient bénéficier de l’aide personnalisée pour l’autonomie (APA) gérée par les conseils départementaux, portant dans 5 ans l’effectif à 1,48 million de personnes dépendantes.
Pour Myriam El Khomri, « Le manque d’attractivité de ces métiers représente une double menace : pour la qualité des soins et pour la qualité de vie au travail de ces personnels ».
Le « plan de mobilisation nationale 2020-2024 » de l’ex-ministre du Travail
- Créer 92 300 postes en cinq ans, soit environ 18 500 par an pendant cinq ans, dès 2020. Soit, 66 500 postes pour augmenter le taux d’encadrement des seniors, 20 700 postes pour faire face à l’augmentation prévisible du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie, et 5 100 postes en équivalent temps plein pour permettre aux professionnels de se libérer quatre heures de travail par mois pour des réunions de concertation.
- Mobiliser 825 millions d’euros par an dans les années à venir pour embaucher des milliers de salariés supplémentaires dans le secteur de l’aide aux personnes âgées, mais aussi pour mieux les rémunérer et les former.
- Augmenter les salaires, via une modification des conventions collectives. Il s’agit selon elle de mettre un terme à des situations qui voient certaines salariées rester au Smic pendant « neuf, voire treize ans ».
- Mieux rembourser les frais de déplacements des aides à domicile, souvent beaucoup trop faibles, équiper les salariées de voitures de fonction ou négocier au niveau national, « avec l’appui technique de l’État », des offres avantageuses de location de véhicules avec option d’achat.
- Donner une priorité forte à la réduction de la sinistralité (accidents du travail) et à l’amélioration de la qualité de vie au travail en particulier dans le cadre de la branche AT-MP de l’assurance-maladie.
- Former deux fois plus de professionnels dans les cinq ans à venir. Pour y parvenir, Myriam El Khomri suggère de valoriser les filières par alternance et la validation des acquis de l’expérience (VAE).
- Garantir systématiquement la gratuité de la formation, hors frais d’inscription, quelle que soit la situation du candidat.
- Supprimer le concours d’entrée aux écoles d’aide-soignant, comme cela a été fait pour les écoles d’infirmiers.
- Faire le ménage parmi les quelque soixante dénominations existantes pour désigner le même métier et de procéder à un toilettage des conventions collectives anciennes.
- Créer une nouvelle qualification d’aides-soignants à pratique avancée, comme cela vient d’être mis en place pour les infirmiers.
- Mettre en place pour les aides-soignants des échelons intermédiaires tenant compte de leurs pratiques et expériences et pouvant déboucher, moyennant formation complémentaire, sur la qualification d’infirmier.
Réaction et engagement d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé
La ministre de la Santé, qui prépare le projet de loi perte d’autonomie, a applaudi « la feuille de route dont nous avions besoin », en se donnant « d’ici à début 2020 pour réussir ». Une personnalité qualifiée sera désignée pour mettre en œuvre ce plan de mobilisation nationale, a-t-elle assuré. La ministre veut également réunir « dans les tout prochains mois » une conférence rassemblant les acteurs du secteur du grand âge. Dans cette enceinte serait traitée la question des diplômes et des rémunérations.
Parallèlement la réforme du financement des services à domicile prendra place dans le projet de loi en préparation. Enfin, elle s’est engagée à ce que toutes ces avancées soient négociées avec les départements, acteurs essentiels du système.
Les réactions des professionnels
Le Synerpa, qui représente les acteurs privés, s’est félicité notamment que sa demande de suppression du concours d’entrée à l’école d’aide-soignant ait été relayée, et rappelle qu’il s’est engagé à former 2 500 personnes en contrat d’alternance ou via la validation des acquis de l’expérience d’ici à 2022.
Pour Pascal Champvert, directeur de l’association des directeurs au service des personnes âgées, « l’urgence est de revaloriser les rémunérations ».
Quant à FO-Santé sa réaction est très sévère. Elle communique sous le titre « la maltraitance institutionnelle va continuer ! » et estime qu’ « il est particulièrement affligeant de constater que le contenu des 59 préconisations « enfoncent des portes ouvertes » et ne correspondent pas aux besoins urgents des professionnels ».
La CFDT partage les constats du rapport. Elle invite le gouvernement à en prendre toute la mesure pour recruter, revaloriser et rémunérer les professionnels à la hauteur de ce qu’ils assument pour préserver la dignité de nos aînés.
« Sans les moyens financiers exigés par le rapport, il est illusoire de prétendre faire face aux évolutions démographiques qui nous attendent et qui ont déjà commencé. C’est pourquoi le PLFSS 2020 qui ne les prend pas en compte doit être doté d’un volet rectificatif (PLFSS R) pour garantir à la grande loi annoncée sur la perte d’autonomie son effectivité ».
En guise de conclusion provisoire, Mme El Khomri, dans son rapport, recommande fortement au gouvernement de « réformer un système devenu complètement fou, où l’organisation administrative et les enjeux tarifaires ont pris le dessus sur la qualité du service et du travail des salariés ». Il s’agit ni plus ni moins, explique-t-elle, que de « réhumaniser » les métiers des quelque 830 000 salariés qui soignent, accompagnent, soutiennent le dernier âge de la vie.
Car, comme le rappelle le journaliste Jean-François Pécresse dans le journal Les Echos, en France, les freins à l’aide aux personnes âgées sont culturels avant d’être financiers. « Nous sommes dans une société qui glorifie la jeunesse et réprouve la cohabitation des générations ». L’ex-ministre nous invite tous à réfléchir à la question suivante : « Pourquoi des métiers si utiles sont-ils si peu valorisés dans notre société ? ».
publié le mercredi 13 novembre 2019 dans «Clés du social »