Les demandeurs d’emplois les plus âgés et les moins diplômés, oubliés de la « société du tout numérique »
Ne pas savoir chercher une annonce, ou même attacher une pièce-jointe... au moins 13 millions de Français ne maîtrisent pas assez des outils indispensables.
Le 13 mars, l’ex-secrétaire d’Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, inaugurait à Strasbourg le douzième espace de formation « Emmaüs Connect ». Objectif du dispositif : lutter contre un mal qui touche des millions de Français : la « fracture numérique ». Destiné aux personnes qui n’ont pas Internet ou qui éprouvent des difficultés à s’en servir, l’espace d’Emmaüs Connectoffre l’accès au matériel connecté et propose des ateliers pour s’initier au numérique.
Car en 2019, tous les Français ne sont pas égaux en ligne. Rédiger un mail, rechercher des informations ou même se connecter relève du parcours du combattant pour bon nombre de concitoyens. Selon la Mission Société Numérique,pilotée par le gouvernement, 13 millions de Français sont victimes d’« illectronisme » : un néologisme servant à désigner l’inaptitude ou le manque de maîtrise des outils numériques pour effectuer des démarches courantes.
En première ligne, les demandeurs emploi. Internet est devenu incontournable, aussi bien pour rechercher un travail que pour percevoir ses droits au chômage. L’inscription à Pôle emploi se fait exclusivement en ligne depuis 2016. « On a formé 3 000 jeunes en service civique pour accompagner ces personnes à l’utilisation de nos nouveaux services, se défend Karine Meininger, directrice des services aux demandeurs d’emploi de l’opérateur public. On a aussi mis en place des postes informatiques en agence et on propose une aide téléphonique ».
75 % des emplois exigent la maîtrise des compétences numériques
Mais, selon une enquête de Pôle emploi, 13 % des demandeurs d’emploi n’utilisent pas ou peu Internet dans leur recherche. « Il y a des personnes qui ne savent pas du tout l’utiliser et d’autres qui estiment ne pas en avoir besoin »,constate Karine Meininger,. Sans oublier ceux qui ne disposent d’aucun abonnement Internet, par manque de moyens ou parce qu’ils sont situés dans une « zone blanche » mal couverte par les opérateurs téléphoniques.
Un problème d’autant plus aigu que 75 % des emplois nécessitent désormais la maîtrise de compétences numériques indique un rapport France Stratégie remis au gouvernement en juillet 2018. Tous les secteurs sont concernés, et y compris pour les emplois les moins qualifiés, fait valoir Karine Meininger :
« Les métiers d’aide à la personne font de plus en plus appel à la domotique, les livreurs doivent désormais traiter des bons de commande numérisés… Beaucoup de métiers qui n’étaient pas spécialement qualifés demandent aujourd’hui d’avoir des compétences numériques de base ».
Parmi les exclues du numérique, les personnes les plus âgées et les moins diplômées sont surreprésentées. Pôle emploiet France Stratégies’accordent sur ce constat. Mais les jeunes ne sont pas épargnés : « tous ne sont pas des digital natives », souligne Jean-Bernard Callejon,chargé du numérique à la mission locale de Chambéry.
« La majorité est à l’aise avec les réseaux sociaux, mais quand il s’agit de démarcher dans le cadre d’une recherche d’emploi ou de formation, ils ne maîtrisent pas forcément la méthodologie ».
Les « codes »du web ne sont pas toujours compris :
« Comment écrire un mail, employer les formules de politesse, mais aussi joindre un CV en PDF ou taper une adresse mail, par exemple ».
« Pour un numérique inclusif »
Dans le sillage de la « société du tout numérique »promise par Emmanuel Macrond’ici à 2022, le gouvernement s’est attelé au problème. En septembre 2018, Mounir Mahjoubia lancé la « stratégie nationale pour un numérique inclusif »,qui repose essentiellement sur la coordination de services existants et la mise en place d’un « pass numérique »,qui donne droit à des heures de formation.
Ayant accompagné 37 000 personnes depuis son lancement en 2013 et présent dans neuf villes de France, Emmaüs Connectfait partie des dispositifs associés ce plan. Pôle emploitravaille avec Emmaüs Connect,comme avec la plupart des associations spécialisées dans la lutte contre l’illectronisme. En janvier, l’organisme a même signé un partenariat avec Facebook pour la formation de 50 000 personnes éloignées de l’emploi.
Le service public de l’emploi est aussi engagé dans le plan « 10 000 formations au numérique », pour les personnes les moins qualifiées aux métiers du numérique. Enfin, les missions locales aussi sont impliquées, à l’instar de celle de Chambéry : « on a notamment mis en place des ateliers sur l’identité numérique et la recherche d’emploi », fait valoir Jean-Bernard Callejon. Au-delà de l’accès au numérique, il ne faudrait pas oublier d’apprendre à faire attention aux données mises en ligne.
Catherine Quignon, Publié dans Le Monde du 5 avril 2018