De plus en plus de seniors encore en activité
L’extinction des préretraites et l’effet des réformes du système de retraite ont changé la donne pour les 55-64 ans.
Bien qu’elle augmente depuis une vingtaine d’années, la part des seniors qui occupent un emploi en France reste inférieure à celle des pays européens. Or, le maintien en activité des travailleurs âgés est un « enjeu crucial », à l’heure où le gouvernement s’apprête à chambouler les régimes de retraite. C’est ce que rappelle un rapport publié, lundi 1er octobre, par France Stratégie, un organisme indépendant rattaché à Matignon. Ce document, très riche, décortique tous les facteurs qui jouent dans l’arrêt – ou la prolongation – d’une vie professionnelle. A partir de ce panorama très complet se dégagent des pistes pour que les personnes mettent un terme à leur carrière dans de bonnes conditions, en disposant d’une réelle « liberté de choix ». Cette problématique, « multidimensionnelle », implique en particulier une mobilisation des entreprises et de tous les acteurs qui concourent à la qualité de vie au travail.
Depuis 2000, le pourcentage des personnes de 55 à 64 ans qui exercent une profession s’est accru rapidement, grâce, tout d’abord, à l’extinction des dispositifs de cessation anticipée d’activité, puis sous l’effet des réformes du système de retraite (notamment celle de 2010 qui a reculé à 62 ans l’âge auquel la pension peut être réclamée).
Fins de carrière influencées
Le taux d’emploi des seniors a progressé plus fortement en France que dans les autres pays de l’Union européenne. Mais ce ratio partait d’un point « plus bas » et se situe, aujourd’hui encore, à un niveau moins élevé que chez nos voisins – en particulier pour les 60-64 ans : 29,4 % de cette tranche d’âge travaille dans l’Hexagone contre 42,5 %, en moyenne, chez les 28 Etats membres de l’UE. Le taux oscille entre 61 % et 68 % en Suisse, en Norvège ainsi qu’en Suède et atteint même 82 % en Islande. Les écarts entre la France et le reste de l’UE sont plus marqués pour les seniors qualifiés.
Globalement, les travailleurs âgés en France sont dans une situation moins précaire que les autres actifs : le taux de chômage, chez les 55-64 ans, était de 6,5 % en 2017 (contre 9,1 % pour l’ensemble des 20-64 ans). Mais il s’avère beaucoup plus difficile de reprendre une activité pour les inscrits à Pôle emploi de plus de 55 ans – la part de ceux qui cherchent un poste depuis au moins douze mois étant très forte (un peu plus des deux tiers). La France se distingue de ses partenaires de l’UE avec un « taux d’embauche des seniors (…) nettement inférieur aux moyennes européennes», constate le rapport
De nombreux facteurs expliquent une telle situation. « Le poids des représentations » en fait partie, selon France Stratégie : « Un âge plus avancé joue en défaveur du candidat à l’emploi » et du maintien en activité.
Les fins de carrière sont également très influencées par les règles encadrant notre système de retraite. Ainsi, la réforme de 2010 s’est « traduite par une nette baisse de la proportion de retraités à 60 et 61 ans (…) et dans une moindre mesure à 62 ans ». Mais cette tendance ne s’est pas accompagnée d’une hausse de l’emploi « de même ampleur » : pour 100 retraités de 60 ans en moins, on compte « environ une moitié d’actifs (…), un tiers d’inactifs (dont une part substantielle d’invalidité/maladie longue) et près de 20 % de chômeurs ». Résultat : le nombre d’allocataires de minima sociaux a augmenté de « près de 80 000 ».
La durée d’affiliation au régime de retraite joue également un rôle important dans la décision d’interrompre définitivement un parcours professionnel. L’assuré doit, en effet, afficher un nombre de trimestres suffisant (172 pour les générations nées après 1973) s’il veut percevoir une pension à taux plein. Sinon, sa pension sera minorée (décote) ; elle pourra, à l’inverse, être majorée (surcote) s’il travaille au-delà du seuil requis. Cependant, l’impact de ces mécanismes pourrait être plus puissant : des marges de progression significatives existent quant à leur appropriation par la population, d’après France Stratégie. Idem s’agissant des mesures qui permettent d’aménager sa fin de carrière (cumul emploi-retraite ou retraite progressive).
A partir de la deuxième moitié des années 1980, plusieurs dispositifs visant spécifiquement les travailleurs âgés avaient été instaurés pour encourager leur maintien en activité (taxe contre les licenciements de salariés de plus de 50 ans, CDD seniors…). Mais ils ont été progressivement abandonnés, « faute d’un impact jugé suffisant et d’un effet perçu parfois comme stigmatisant ». Désormais, les politiques publiques mettent l’accent sur une « gestion des âges plus globale », en cherchant l’amélioration des conditions de travail tout au long de la vie active. L’objectif est que les personnes retardent leur départ à la retraite en invoquant comme « premier motif (…) “l’intérêt de leur emploi ou des conditions de travail satisfaisantes” ». Beaucoup, en la matière, reste encore à faire.
Raphaëlle Besse Desmoulières et Bertrand Bissuel ; Publié dans LE MONDE du 02.10.2018.