Retraités : on peut vraiment leur dire merci !

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Villes dépourvues de maires, enfants laissés à eux-mêmes, populations fragiles sans ressources ni accompagnement, chute brutale de la consommation : la France sans ses 17 millions de retraités ne tournerait pas rond

Dans le film « Une journée sans Mexicains » de Sergio Arau (2004), une farce chargée de symboles, les Mexicains disparaissent de la Californie, tout à coup et sans explication valable. Personne n’avait jamais soupçonné combien de problèmes de plomberie, de fuites de gouttières, de jardins envahis par les herbes, de maisons écroulées, d’ordures accumulées dans les poubelles municipales, d’enseignants manquant dans les écoles et d’infirmières dans les hôpitaux une telle absence pourrait provoquer dans cet Etat américain. Imaginons qu’en France, de la même façon inexplicable, tous les retraités disparaissent, que se passerait-il donc ?

Ce serait d’abord l’affolement dans près d’une commune sur deux, soit 17 708 villes françaises sur 34 516, qui n’auraient plus de maire. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, au 1er janvier 2017, près de 60 % des maires ont 60 ans ou plus alors qu’ils n’étaient que 49,7 % en 2014. Leurs adjoints sont en moyenne plus jeunes et au total la proportion de conseillers municipaux de 60 ans ou plus est de 34,7 %. Et plus de deux maires sur cinq sont retraités. « Nous sommes les sherpas pas chers de la République, explique Philippe Garcia, 68 ans, maire d’Arthez de Béarn, un village de 1 800 habitants. Tous les maires des villages autour de moi ont entre 65 et 75 ans et les jeunes ne se bousculent pas au portillon pour nous remplacer ».

  « Seniors solidaires ».

 Dans ces villes sans maire, les enfants risquent d’attendre longtemps que quelqu’un vienne les chercher à l’école et les emmène à leurs cours de piano, de danse ou d’anglais après leur avoir fait prendre leur goûter. Les 15 millions de grands-parents français (chiffre Insee) assument à eux seuls le nombre quelque peu surréaliste de vingt-trois millions d’heures de baby-sitting par semaine ! Et 22 % des moins de 12 ans sont gardés par papy-mamie durant les congés scolaires… Ce qui permet à leurs parents de réaliser de belles économies et d’augmenter quelque peu leur pouvoir d’achat.

Il manquerait aussi du monde dans les écoles. Ainsi, en 2016, 17 315 « seniors solidaires » pour la plupart retraités bénévoles, sont allés dans des classes, pour faire la lecture à 641 000 enfants. Ils y sont envoyés par l’Association « Lire et Faire Lire » d’Alexandre Jardin. Tout le réseau associatif bénéficie d’ailleurs de la disponibilité des retraités et se trouverait fort dépourvu une fois ceux-là disparus. Qu’il s’agisse des Restos du Cœurs, du Secours Catholique ou du Secours Populaire, qui comptent entre 70 000 et 80 000 bénévoles chacun, la réponse est toujours la même : « le nombre de retraités parmi eux ? Nous n’avons pas de chiffres précis, mais c’est une énorme majorité. »

Villes dépourvues de maires, enfants laissés à eux-mêmes, populations fragiles sans ressources, le tableau n’est pas encore complet. Par exemple, combien de retraités accompagnent un conjoint malade à l’hôpital ou un proche handicapé dans un centre spécialisé ? « Les aidants bénévoles de proches vulnérables sont 8,5 millions dont 4,5 de retraités, affirme Serge Guérin, professeur à l’INSEEC, directeur du master direction des établissements de santé. On estime qu’ils font 20 heures en moyenne par semaine à 19 euros de l’heure, cela fait 164 milliards d’euros par an donc, près de 80 milliards pour les retraités qui ne sont pas facturés à la collectivité ». Retraités qui, selon ce professeur, représentent aussi aujourd’hui 40 % de la consommation. L’activité économique pâtirait donc sérieusement de leur disparition.

Le cinéaste qui se lancerait dans le tournage du film « Un jour sans les retraités » montrerait donc une France pas tout à fait à l’arrêt mais sans doute tétanisée, ne tournant pas très rond. L’exercice serait peut-être salutaire, car même si Emmanuel Macron a précisé le 12 avril qu’il n’avait jamais pris « les retraités pour des portefeuilles » et les a remerciés pour « l’effort qu’ils faisaient », le moins qu’on puisse dire, c’est que ceux-ci n’ont pas la cote. Le 12 mars, veille d’une manifestation de retraités contre la hausse de la CSG, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a expliqué que l’effort demandé « de quelques dizaines voire de quelques centaines d’euros pour les plus fortunés par an, permet à leur génération de tendre la main à la génération plus jeune. C’est aussi ça la solidarité entre générations ». Celle appelée à faire un effort étant celle, honteusement privilégiée des « baby boomers », ceux-là même dont la disparition pénaliserait beaucoup le pays.

« On sent aujourd’hui la tentation de nier la question sociale au profit de la question générationnelle »

Situation inédite. 

« En fait, le vrai baby boom a duré 20 ans, de 1946 à 1966, ensuite c’est son « écho » qui dure jusqu’en 1975. La population des retraités n’est pas du tout homogène, ceux qui ont eu beaucoup de chance sont nés dans les dix premières années, entre 1946 et 1956, explique Michèle Dion, professeur émérite de démographie à l’université Bourgogne Franche-Comté. Les « chanceux », eux, forment une catégorie qui est la première à n’avoir pas connu la guerre sur le territoire national, qui a accompagné les fameuses « trente glorieuses » et a été globalement épargnée par le chômage ; qui a bénéficié d’un nombre incalculable de progrès scientifiques, technologiques et médicaux dont ses aînés n’avaient pas encore vu la couleur. Mais elle a travaillé beaucoup pour cela : la quatrième semaine de congés payés date de 1968, la cinquième de 1982, les 35 heures et les RTT du débat des années 2000. Et l’inflation galopante des années 1960 à 1980 qui leur a certes permis d’acquérir leur résidence principale n’est tout de même pas de leur fait ! Les baby-boomers se trouvent aussi au cœur d’une autre situation inédite : grâce à l’accroissement de la durée de la vie, ils doivent souvent s’occuper (y compris financièrement) de leurs parents devenus dépendants ; mais aussi, à cause de la crise économique, donner à leurs enfants un coup de pouce lors de leur entrée dans la vie active.

« Je n’ai jamais senti une telle opposition entre retraités et actifs de 40 ans », relève pourtant Michèle Dion. Le chômage de masse, accompagné d’une massification de l’enseignement supérieur non réfléchie, est passé par là, en particulier celui des jeunes. « On sent aujourd’hui la tentation de nier la question sociale au profit de la question générationnelle » estime Serge Guérin. La gériatre Françoise Forette juge « absurde » ce potentiel conflit de générations et s’énerve de la « victimisation » dont se prévalent parfois les générations les plus jeunes. Les jeunes adultes « pauvres » sont souvent peu diplômés; ils peinent à s’insérer dans le monde du travail et sont contraints de vivre avec de très bas revenus (indemnités de stage, bas salaires, soutien parental). Ce n’est pas en « tapant » sur les retraités que l’on améliorera leur sort.

 

Irène Inchauspé. Publié par l’Opinion 19 avril

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