L'âgisme : dommage collatéral des politiques de financement du "grand âge" ?
La prise en charge de nos aînés est indissociable de la question cruciale de son financement. Au point que l’on peut se demander si la question du financement n’est pas à l’origine d’une forme de rejet et de stigmatisation des personnes âgées. Ce phénomène porte un nom : l’âgisme. Tribune libre de Charles Dauman, directeur général de DomusVi Aide et Soins à Domicile et de Valérian Boudjemadi, maître de Conférences en Psychologie sociale à l’université de Strasbourg.
Défini comme un ensemble de préjugés, stéréotypes et discriminations basés sur l’âge, l’âgisme opère dans toutes les sphères de la société : dans nos relations individuelles et collectives, au niveau institutionnel ou encore sociétal.
Insidieux et délétère, il est particulièrement ressenti dans l’Hexagone et s’avère plus répandu en Europe que le sexisme ou le racisme. Par ailleurs, notons qu’il n’est pas sans conséquence sur les personnes âgées elles-mêmes, tant en termes de bien-être, d’estime de soi, de santé mentale et physique, que d’espérance de vie.
Un certain regard
En Occident, la personne âgée a longtemps fait figure d’autorité, inspirant le respect de par ses connaissances et la transmission de ces dernières. Le 20ème et le 21ème siècle ont été le théâtre de changements démographiques sans précédent dans l’histoire des sociétés occidentales.
L’augmentation de l’espérance de vie couplée à une baisse de la natalité a entrainé un vieillissement de la population et une augmentation significative de la proportion des plus âgés. En 2060, un tiers de la population sera âgée de plus de 60 ans contre seulement un quart aujourd’hui. Dans ce monde vieillissant, quel regard portons-nous sur nos aînés ?
La nature de cette vision, positive ou négative, pourrait-elle être influencée insidieusement par le problème économique que constitue le financement de la dépendance ? En d’autres termes et de manière volontairement provocatrice, on pourrait imaginer que dans l’inconscient collectif, les personnes âgées sont jugées dépendantes, inutiles, couteuses... En somme, si nos vieux n’apportent rien à la société, alors à quoi bon s’évertuer à financer leur perte d’autonomie, leur maintien à domicile ou leur placement en institutions ?
Cette vision négative du vieillissement perçue davantage comme un fardeau que comme un capital de sagesse, d’expérience et de transmission ne contribue-t-elle pas à nourrir une forme de rejet ? Après tout, les sociétés qui cultivent une vision positive du vieillissement sont justement celles où les ainés ne présentent pas de « coûts » à l’instar des sociétés africaines, sud-américaines et asiatiques au sein desquelles les relations intergénérationnelles et les solidarités privées constituent le principal socle de la prise en charge des ainés.
Incertitudes sur l’évolution de la dépendance et son financement
Nul besoin d’une étude prospective et approfondie sur le sujet pour comprendre que la prise en charge de la dépendance constitue un enjeu de société majeur. Qui plus est, ce sujet est l’affaire de tous, aussi bien individuel que collectif, au sens de la collectivité. Il est à mi-chemin entre la sphère publique et la sphère privée, chacun se rejetant la balle ou la responsabilité.
Un changement de paradigme s’impose. De manière simpliste, on pourrait inciter, voire enjoindre, les familles à anticiper dès maintenant l’avenir de leurs parents. Après tout, ces mêmes parents se sont parfois saignés pour financer la garde de leurs enfants, leurs études ou encore l’achat de leur premier logement.
Mais ce serait trop simpliste, voire irréaliste, tant l’avenir de nos retraites est incertain. Sans compter que culpabiliser les familles qui supportent déjà un lourd reste à charge pour financer la dépendance de leurs proches serait une posture pour le moins inappropriée.
Alors, qui pour financer la dépendance et combattre l’âgisme ? Serait-ce à la collectivité de tout prendre en charge ? S’agissant des politiques publiques, le débat prend d’emblée des airs d’Arlésienne dont chaque nouveau gouvernement s’empare tour à tour. Quatorze ans après la mise en place de la première journée de solidarité, le président Emmanuel Macron évoque aujourd’hui l’idée d’en créer une seconde.
Ainsi, on peut se demander combien de journées de solidarité seront nécessaires au final pour financer le grand âge ? Le financement de la dépendance devient année après année, au gré du vieillissement de la population, un sujet tarte à la crème…
Les politiques publiques qui vont être annoncées prochainement doivent simplifier et stabiliser le financement des services aux personnes âgées en favorisant le développement de structures d’aide et de soins de qualité et de proximité. Parallèlement, les familles doivent comprendre que pour accéder à ces services de qualité, une participation privée est incontournable.
Saisissons-nous de cet enjeu de société, bousculons le débat et combattons les clichés ! Notre responsabilité collective est de nous interroger sur l’avenir que nous réservons à nos ainés. Nous serons tous considérés un jour comme « vieux », et la manière dont nous traitons nos ainés impactera la manière dont les jeunes générations nous traiteront.
Publié le 23 mai par Seniorsactu