Services de la Poste : Un facteur rural dans le débat …
Ah quel dommage, Monsieur Mauss !...
Je dis Monsieur Mauss et j’aurais pu dire Monsieur Bachelard, puisque ce dernier a mené sa réflexion tout en gagnant sa vie comme commis des Postes et Télégraphes…
Or, dans ses écrits au moins, Monsieur Bachelard était discret sur sa vie postale, pas comme moi qui en ai fait toute une thèse !
Mais justement, si j’ai fait toute une thèse sur le métier de facteur c’est que j’ai trouvé dans l’exercice de celui-ci l’occasion d’échanges inattendus, d’échanges sortant du cadre commercial et pourtant d’échanges tout sauf futiles, d’échanges nécessaires à la vie humaine, qui est forcément vie sociale… des échanges permettant de se sentir particulièrement humain !
Tout cela entrait dans la modalité du don-contre-don étudiée par Marcel Mauss : un jour, on donne de son temps non seulement à apporter une lettre mais aussi à apporter des médicaments, à régler un téléviseur défaillant, à aider à contacter le médecin ou le banquier pour un renseignement nécessaire, etc. ; les tournées s’égrènent et, à quelque temps de là, on reçoit de la même maison ou d’une autre, un morceau de fromage, une douzaine d’œufs, des fraises une salade ou encore… un pourboire, même si le temps n’est pas à la soif !
Pas de contrat, que de la souplesse de part et d’autre, pour pouvoir dire « aujourd’hui j’ai pas » ou « j’ai pas le temps »... et pourtant l’exigence forte de s’inscrire en actes dans une humanité soucieuse d’elle-même, soucieuse de chaque être humain rencontré sur sa route et se posant en permanence la question de savoir si on ne serait pas en posture de donner... ou de recevoir, laissant à l’autre la fierté de pouvoir donner ce qu’il ou elle a, salade, fraises, œufs, fromage ou… pièce.
Monsieur Mauss, vous avez commencé à regretter, en votre temps, que le système du don-contre-don, dominant dans le reste de l’humanité, soit dominé par celui du contrat, celui du donnant-donnant, dans notre société occidentale capitaliste et mercantile. Eh bien, voyez-vous, jusque il n’y a pas si longtemps que ça, au long de la tournée d’un facteur rural, pouvait exister encore le don-contre-don.
Tant que personne ne se mêlait de ce qui se passait entre fact/eur/rice et usagers… Mais voilà, désormais la maison-mère saisit toute occasion de tarifer le moindre acte du facteur ou de la factrice… doit-on lui en vouloir pour cela ?
N’en vouloir qu’à elle serait oublier qu’une réforme, en 1990, sous un gouvernement socialiste, transformant le statut de la Poste, a obligé celle-ci à une nouveauté pour qui était jusque là une administration d’État : l’équilibrage autonome de ses comptes. Partant, ne serait-ce que pour pouvoir verser aux facteurs et aux autres le salaire dû sous la double vigilance des syndicats et de l’inspection du travail, La Poste saisit toute occasion de tarifer ! D’autant plus qu’en 2010, une nouvelle loi a augmenté son intégration au capitalisme.
Faut-il en vouloir à une structure poussée d’autorité législative vers le privé lorsqu’elle fait tout ce qu’elle peut pour équilibrer ses comptes ? Pourquoi ne pas en vouloir plutôt au gouvernement de l’époque qui a préféré transférer une administration au privé plutôt que de réfléchir à de nouvelles modalités collectives de gestion des services publics. Cela aurait bel et bien pu aller dans le sens de ce que vous souhaitiez, me semble-t-il, Monsieur Mauss, car en plus d’être un sociologue et quasiment le fondateur de l’ethnologie française, vous étiez un militant de certaines formes d’organisation sociale.
De fait, vous n’étiez pas socialiste, vous étiez associationniste… Et moi, tout comme vous !
Philippe Sahuc
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