Emmanuel Macron : Transgénération

Publié le par Or gris : seniors acteurs des territoires, dans une société pour tous les âges

Sept fois grand-père sans avoir été père, le plus jeune président français défie les temporalités. Sans âge, il réussit l’exploit de séduire les vieux et de faire rêver la jeunesse.

Entre gendre idéal et ambitieux décomplexé, Macron porte sa jeunesse comme un trophée. Il en joue sans limite, mais l’évidence de son jeune âge se révèle plus complexe que le grain lisse de sa peau. Au-delà de sa garde rapprochée - les trentenaires, d’Ismaël Emelien à Julien Denormandie, font tourner la start-up présidentielle -, Macron entretient une juvénilité qui plaît aux vieux. Ni rebelle ni sauvageon, il est le fils préféré de François Hollande, Gérard Collomb, Bertrand Delanoë et tant d’autres. Le premier de la classe. Sa compétence s’accompagne d’un vocabulaire parfois complexe qui rassure, son expertise économique reste le graal d’une société encore obnubilée par la croissance. Le phrasé, un peu empathique, théâtral, émaillé de termes désuets («galimatias», «perlimpinpin», «in petto»), flatte les oreilles des immortels académiciens (Finkielkraut lui a accordé un bon point).«Par son sérieux et sa compétence, il incarne le désir d’institution des Français», estime Serge Guérin, sociologue spécialiste des enjeux intergénérationnels (1). Dans une société bouleversée, il faut «faire président». Et justement, Macron fait président. Le mythe de Kennedy est encore vivace, un portrait du président américain ornait d’ailleurs un des murs de son QG de campagne.

A l’image d’un Benjamin Button, héros fitzgeraldien qui naquit à 80 ans et vécut sa vie à l’envers, Emmanuel Macron défie les temporalités. Il réussit l’exploit d’être sept fois grand-père sans jamais avoir été père, rappelle le géographe Gilles Fumey (lire Libération du 9 mai). Il supprime d’un trait la génération des cinquantenaires en politique, et Valls en fait les frais.

Dans le storytelling familial, la grand-mère Manette incarne le personnage émotionnel qui l’initie aux belles lettres - il adore Balzac, Flaubert, Mauriac, le suranné Alain et l’œcuménique Paul Ricœur. «Emmanuel Macron renvoie à des codes anciens, qui font du bien aux plus âgés mais que recherchent aussi les jeunes», poursuit Serge Guérin. Dans une étrange illusion généalogique, il gomme quasiment sa mère et son père biologique, qu’il évoque peu. Comme s’il s’était fait tout seul, laissant de côté l’image de l’héritier, lui qui est passé par le lycée Henri-IV, a raté deux fois Normale Sup et a atterri à l’ENA. Ainsi réactive-t-il les rêves de réussite d’une jeunesse en manque d’adrénaline, dans les beaux quartiers comme dans les banlieues.

D’une certaine façon, Macron est sans âge, «ni jeune ni vieux mais transgénérationnel», analyse Guérin. Dans cette transgression, Brigitte Macron est LA pièce maîtresse. Stabilité d’une histoire d’amour qui dure, recomposition inédite avec un écart d’âge peu commun - 24 ans - entre une femme et un homme. «Leur couple donne une vision sereine des mutations de la famille, avance Serge Guérin. Cela plaît aux tenants de l’ordre classique comme à ceux passés par les divorces et les remariages.» Même Madonna a applaudi. Brigitte et Emmanuel Macron, c’est «l’expression même de la non-guerre des générations»,poursuit le sociologue. Si Brigitte Macron n’a pu échapper à la raillerie sexiste, elle apporte à son jeune mari «épaisseur et chair» qui font souvent défaut aux jeunes technos. Cet amour qui fait fi des rides lui donne même un supplément féministe auprès des électrices de plus de 50 ans. Modernité des rôles ? Dans l’exercice du pouvoir, le candidat à la présidentielle était essentiellement entouré d’hommes. Enième tour de passe-passe d’une jeunesse hors d’âge.

(1) Auteur avec Pierre-Henri Tavoillot de La guerre des générations aura-t-elle lieu ? Calmann-Lévy, 2017.

Cécile Daumas dans Libération du 15 mai 2017

http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/12/emmanuel-macron-transgeneration_1569241

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