« Pour éviter la fermeture de l’école, j’ai pensé logement »
Michel Fournier, 67 ans, est maire des Voivres (Vosges) et vice-président de l’Association des maires ruraux.
Pas gai. C’était en 1972, il devait y avoir 200 habitants, essentiellement des personnes âgées… Il a fallu se battre comme des chiffonniers pour redynamiser ce village des Vosges. Sacré tonnerre ! Se moquer de la technocratie, mettre de la vie avant de penser à l’économie, valoriser ce qui existait. Aujourd’hui, on est 330 habitants, l’école partagée avec la commune voisine n’est plus menacée de fermeture, il y a plein d’associations, les Voivres ont une image forte. Si certains continuent de râler pour un bout de trottoir ou un lampadaire inexistant, tous sont fiers d’y habiter.
Mon arrivée dans ce village est le fruit du hasard. Je suis né à 30 kilomètres de là. J’étais agent commercial, je vendais des produits aux jardineries. Avec mon épouse secrétaire, nous n’avions pas beaucoup de sous, alors nous avons acheté une maison à retaper aux Voivres. A cette époque, le village était à l’image de beaucoup d’autres, il se désertifiait.
Il n’y avait pas de boulot dans le secteur
J’ai commencé à organiser les fêtes pour qu’elles ne meurent pas, en créant une association. Et en 1989, j’ai été élu maire. C’est alors que l’inspection académique nous a prévenus. L’école allait fermer. La classe unique ne comptait plus que neuf élèves. J’ai été pragmatique, je me suis dit qu’il fallait faire venir des élèves, donc des familles. Mais avec quelle carotte ? Il n’y avait pas de boulot dans le secteur… Alors j’ai pensé logement. Faire jouer la fibre de la propriété chez des personnes qui n’obtiendraient jamais de prêt. On a proposé des locations-ventes très bon marché.
La mairie a donc acheté deux anciennes fermes. Pour les rénover, on a monté un chantier d’insertion, le premier du département. J’ai appelé les Assedic, l’ANPE, tous les maires du coin, et j’ai réuni en mairie une soixantaine de chômeurs. On a embauché en contrat aidé une vingtaine de personnes en difficulté sociale très forte mais qui avaient déjà connu l’emploi. Cela dit, il y avait des problèmes d’alcoolisme… Je leur ai dit : « Rien à faire de ce qu’on peut penser de vous, on a un challenge à relever. Trois mois pour remettre en état les maisons avant que les familles n’arrivent pour la rentrée scolaire. » J’ai mis la main à la pâte, comme tout le conseil municipal.
On a accueilli deux familles et l’école n’a pas fermé
Envers et contre les rieurs, ça a marché. On a accueilli deux familles, onze enfants en tout, et l’école n’a pas fermé ! Je les ai trouvées en passant une annonce dans la presse locale qui est toujours friande d’histoires de « maires un peu fous ». Ces familles étaient en difficulté, et l’une d’elles était originaire d’Algérie. J’ai tout entendu, on devenait « la poubelle du département »… Mais l’école était un leitmotiv fort. Après son sauvetage, des articles élogieux sont parus. L’année suivante, une cinquantaine de familles ont postulé. C’est monté jusqu’à 300, en provenance de toute la France ! Un samedi matin, il y en a même une qui est arrivée en voiture avec une remorque et tous ses meubles dedans. Elle est restée plusieurs années.
On a choisi des gens qui avaient la « niaque », capables aussi de s’adapter – avec les locataires des grands immeubles qui ne savaient pas éteindre la lumière en partant ou mettre du bois dans le feu, on a essuyé quelques échecs… On a continué à réhabiliter des maisons, une vingtaine, l’école est montée à 35 élèves, on a construit une maternelle en deux mois sans appel d’offres, mais le préfet est quand même venu l’inaugurer. L’école a culminé à 70 élèves mais comme les familles sont restées, les enfants ont grandi, c’est redescendu. La logique a été de s’associer au village voisin dans un regroupement pédagogique, en gardant chez nous les activités périscolaires. Ça a râlé mais on devait bien évoluer.
Au milieu des années 1990, on a réuni tous les habitants. Il fallait se retrousser les manches, inventer les emplois qui n’existaient pas dans le secteur. La mairie a acheté 5 hectares de terres agricoles pour créer une zone d’activités. Deux entreprises sont venues – il y en a quatre aujourd’hui. On a réhabilité un étang et lancé une ferme piscicole pédagogique. Puis on a transformé un corps de ferme, dans le village, pour créer un centre d’accueil avec soixante lits. Pour ça, on a proposé aux habitants d’investir dans une société civile immobilière (SCI). C’était du financement participatif avant l’heure. Du crowdfunding vosgien, dans le bistrot du pays !
On a racheté et remis en état l’ancien café-restaurant
Une centaine de personnes a versé l’équivalent en francs de 100 000 euros. Aujourd’hui, la SCI société d’intérêt collectif- est gérée par une qui s’occupe d’éducation populaire, et qui accueille les écoles, les centres de loisirs, les séminaires d’entreprise et les fêtes de famille. Pour ceux qui font la fête et veulent rester dormir, on a aussi prévu un abri de 300 m2 et des baraquements en palettes près de l’étang.
On a racheté, remis en état et loué peu cher l’ancien café-restaurant. Depuis douze ans, c’est un couple de Bretons qui le tient. L’été, ils font 100 couverts le midi. Dans le village, il y a aussi deux yourtes. Une association dispense des stages de bien-être pour les gens en burn-out. On régénère tout, nous, ici ! On aide des urbains et même des ruraux à faire leur retour à la terre en mettant du foncier à disposition, gratuitement au départ. Et bientôt, il y aura un écoquartier près de l’étang, et une couveuse d’entreprises agricoles. Depuis 2016, on avait déjà une couveuse d’entreprises liées au bois. Avec la communauté de communes du Val de Vôge et le Pays d’Epinal, on a mis en place un pôle d’excellence rural autour du bois. Des ingénieurs ont installé leur start-up dans notre zone d’activité, ils créent des lunettes, des skates et des vélos en bois.
On a fait travailler 600 personnes, en tout, sur les chantiers. Aux Voivres, il n’y a ni château ni chapelle à visiter, donc il n’y aurait rien à faire ? Mais si ! La volonté peut exister n’importe où.
Pascale Krémer : Publié dans M le magazine du Monde du 19.03.2017
contact : Michel Fournier, Mairie de Voivres, 88240, Les Voivres, tel : 03 29 30 43 87
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