Territoires ruraux : comment sauver les cafés ?
Avec la disparition des bistrots, les habitants ont le sentiment que le lien social se délite dans les territoires ruraux, comme le montre une étude de l'Ifop pour France Boissons, présentée le 20 janvier à l'occasion du lancement de la nouvelle édition du concours "Des cafés pour nos régions". Face à ce déclin qui alimente le sentiment d'abandon des habitants, des initiatives innovantes se multiplient, mêlant acteurs publics et privés.
A l'instar des stations-service, les bars sont de moins en moins nombreux à la campagne. Selon les données de l'Insee, la France comptait 34.669 bistrots dans 10.619 communes en 2013. En creux, cela signifie donc que plus de 26.000 villages en sont dépourvus. L'hémorragie n'a cessé depuis les années 1960 où l'on en dénombrait 600.000 ! Résultat : 75% des habitants des communes de moins de 5.000 habitants estiment ainsi que le lien social s'est plutôt affaibli par rapport à il y a une dizaine d'années. C'est ce qui ressort d'une étude réalisée par l'Ifop pour le compte de France Boissons (le fournisseur des bars) présentée le 20 janvier. Car les bistrots sont avant tout des lieux de vie, le symbole de cet "art de vivre" dont il est beaucoup question en ce moment. Les habitants ont également le sentiment que les commerces de proximité sont moins nombreux dans leur commune (67%). Si les causes de ce déclin sont multiples (déclin démographique, interdiction de fumer, augmentation des prix des consommations...), 72% des habitants ont l'impression que les pouvoirs publics s'occupent moins des territoires ruraux que des grandes villes (78% pour les Alsaciens).
Mais ce sentiment d'abandon est aussi partagé par les élus représentatifs de ces villes. Ainsi, d'après Jean Girardon, maire de Mont-Saint-Vincent (département de Saône-et-Loire) et vice-président de l'Association des maires de France (AMF), "nous sommes passés d'une politique d'aménagement du territoire, dans les années 1980, qui cherchait à créer l'équilibre entre les richesses sur l'ensemble du territoire, et où l'on pénalisait Paris au profit des autres territoires, au phénomène inverse aujourd'hui, avec la mondialisation, où Paris est considérée comme la porte d'entrée pour la mondialisation et reçoit davantage d'attention". "Il ne s'agit pas de s'opposer à la mondialisation, mais de ne pas oublier les autres territoires", insiste-t-il.
Pour Jean Girardon, au-delà de l'argent, il serait souhaitable de donner davantage de liberté à ces territoires, sur le plan réglementaire notamment, d'y développer l'économie sociale et solidaire, et de "les aider pour que les énergies se développent". Dans son village de 350 habitants, Jean Girardon a initié des solutions pour maintenir les commerces en activité. La commune a acheté la licence du bar et la met à disposition, gratuitement, de l'exploitant. Le bureau de poste, qui allait fermer, est devenu, par le biais d'une convention signée avec La Poste, une agence postale communale qui joue le rôle de dépôt de pain, d'épicerie, et qui vend des journaux… Une association gère l'ensemble pour le compte de la commune. Un accord signé avec une grande surface de la région permet à la commune d'acheter les biens 10% moins cher et de les revendre au prix normal. "La différence nous permet de financer l'association", explique Jean Girardon.
Pour Pierre Creuzet, directeur général de l'association d'élus Centre-Ville en mouvement, il faut arrêter de parler uniquement d'argent et favoriser ce type d'initiatives publiques, qui ont un effet d'entraînement sur le secteur privé. "Aujourd'hui, ce sont les politiques qui peuvent faire la pluie et le beau temps dans les cœurs de ville, mais le monde économique rejoindra le mouvement s'il est lancé", explique-t-il à Localtis.
Le concours "Des cafés pour nos régions" organisé chaque année depuis 2013 par France Boissons fait partie de ces initiatives croisées. Accompagné dans la démarche par l'Association des petites villes de France (APVF), le Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, l'Agence France Entrepreneur (ancienne APCE) et la plateforme de crowdfunding Ulule, France Boissons récompense ainsi chaque année les cinq meilleurs projets de création ou de rénovation de cafés dans les cinq grandes régions de France (Est, Centre-Ile-de-France, Nord, Ouest, Sud). Chaque lauréat reçoit 10.000 euros. Ce soutien a ainsi permis à Julien Bortolotti, gérant de l'établissement "Chez Paulette" à Pagney-derrière-Barine (54) et lauréat de l'édition 2014, de moderniser son établissement. De nouveaux lauréats seront identifiés cette année, dans le cadre de la troisième édition du concours lancée le 20 janvier.
"Il n'y a pas de solution miracle, assure André Robert, délégué général de l'APVF. Il s'agit plutôt de conjuguer différentes mesures, et de favoriser l'imagination." Le représentant de l'APVF estime toutefois que "l'Etat doit aussi s'en mêler" et reste sceptique sur la modalité choisie par le gouvernement pour soutenir ces commerces, les appels à projets. Le Fisac vient d'être rénové en ce sens pour rompre avec une "logique de guichet". "Les appels à projets, c'est bien mais cela crée des déçus, car les critères sont très sélectifs", signale André Robert.
Pour Pierre Creuzet, il s'agit aussi d'utiliser les nouvelles technologies. "Le monde qui a fonctionné depuis des années ne fonctionne plus aujourd'hui, les choses sont en plein mouvement, explique-t-il. Les commerces peuvent créer des emplois avec quelque chose de novateur."
Emilie Zapalsk, publié le jeudi 21 janvier 2016 par localtis