Un nouveau contrat entre les générations…objet d'un ouvrage de Jean-Hervé Lorenzi, , Alain Villemeur et Hélène Xuan
À l’heure de l’ultime « plan emploi » de la présidence Hollande, 4 propositions chiffrées en termes d’insertion dans l’emploi, de financement de la santé et des retraites, de réforme du système éducatif et de formation, pour rouvrir des perspectives à une jeunesse en désarroi. Une approche générationnelle innovante, pour penser différemment les blocages de notre société et bâtir de nouvelles formes de cohésion. Pessimisme et peur du déclassement, nombreux freins à l’entrée dans l’activité professionnelle, jeunes socialement défavorisés principales victimes d’une mobilité en panne : Aujourd’hui, un jeune Français sur quatre est au chômage, et, plus généralement, toute une génération a perdu ou est en passe de perdre confiance en son avenir. Là se joue une rupture du contrat social – véritable bombe à retardement pour notre pays. L’avenir n’est pourtant pas nécessairement porteur de régressions, pour autant que l’on s’efforce de bousculer les modèles coutumiers, de dépasser les représentations sociales récurrentes : Davantage que par le passé, c’est par le prisme du concept même de «générations» qu’il semble pertinent de lire et décrypter la société hexagonale. Chômage, dépenses de santé, financement des retraites, formation : Répondre à l’immobilisme par un projet suffisamment novateur pour réinsérer les jeunes dans la société : Tel est le pari des auteurs qui proposent quatre «contrats donnant-donnant», à la fois chiffrés et argumentés, susceptibles de restituer un juste équilibre entre générations autant que de générer les conditions d’un nouveau dynamisme.
Confessons d’emblée un regret : le président du Cercle des économistes, Jean-Hervé Lorenzi, et ses deux coauteurs de la chaire transitions démographiques, transitions économiques, Alain Villemeur et Hélène Xuan, n’ont pas été très inspirés dans le choix du titre de leur dernier livre France, le désarroi d’une jeunesse (Eyrolles, 184 p. 17 €).
Pour au moins une raison qui a curieusement échappé à leur éditeur : l’ouvrage n’a rien d’une enquête sur les états d’âme de la jeunesse ou sur sa détresse, réelle ou supposée. Mais il mérite qu’on s’y attarde pour son propos à la fois simple et ambitieux : revisiter les blocages français, participer à « l’effort indispensable de reconstruction » des grilles de lecture de notre contrat social.
A l’heure où le gouvernement a choisi de bricoler le code du travail et le droit du licenciement économique, sans rien nous dire de sa vision d’ensemble du social – si tant est qu’il en ait une –, au moment où les partenaires sociaux renégocient la convention d’assurance-chômage et où refait surface le débat sur la dégressivité des allocations, nos trois auteurs ont le mérite d’assumer, de la première à la dernière page de leur livre, leur vision large de l’économie et du social.
A rebours de responsables politiques, qui assimilent trop souvent le social à un arsenal de politiques publiques ciblées sur une classe d’âge ou sur un risque particulier (la santé, la dépendance, la vieillesse…), eux entendent redéfinir globalement les droits et les devoirs qui lient les générations entre elles et leur permettent de vivre ensemble. Une façon de sortir, enfin, du colmatage.
On le sait, l’Etat-providence, tel qu’il a été proclamé par le Conseil national de la Résistance (CNR) en 1945, a été profondément fragilisé par les chocs pétroliers des années 1970 et par l’émergence d’un chômage de masse. Il l’est aussi par la révolution démographique qui s’annonce avec l’allongement de la vie et la baisse de la natalité.
« Si la génération des baby-boomers, celle du “ni Dieu ni maître” de 1968, a été peu touchée par ce basculement, il n’en va pas de même des suivantes, qui vivent, comme les “naufragés” de la société industrielle, sur le registre de “l’insécurité sociale”, comme l’appelle le sociologue Robert Castel », écrit notre trio d’économistes. Dans un pays où, en 2030, 30 % de la population sera âgée de plus de 60 ans, un nouveau pacte intergénérationnel s’impose qui permettra de financer le système social tout en prenant en compte l’intérêt des jeunes, cet impensé de l’Etat social de 1945.
Dans la France d’aujourd’hui, les 22-30 ans peinent à trouver un emploi stable et les jeunes seniors (55-65 ans) peinent à garder leur poste alors même qu’ils sont invités à travailler plus longtemps. Ces deux générations sont les pivots du nouveau contrat social. C’est en pensant à elles que les auteurs défendent l’idée d’« une équité en mouvement ». Elle se traduirait en parcours, et non plus en statuts, et porterait sur quatre domaines-clés : le travail, la santé, la retraite et la formation.
Pour faire passer, après plusieurs tentatives infructueuses des pouvoirs publics, leur proposition d’un contrat de travail unique, Lorenzi, Villemeur et Xuan avancent l’idée d’un « deal de transition ». Les jeunes gagneraient leur indépendance « grâce à un logement, autorisé par une réforme du marché locatif » et, en contrepartie, ils accepteraient « un contrat à droits progressifs » mieux adapté au marché du travail actuel. Quant aux seniors, ils seraient formés pour travailler plus longtemps.
A terme, l’équité dynamique passerait par l’adoption d’un contrat unique pour tous, à droits progressifs, à l’image des nouveaux emplois du Jobs Act italien. En outre, un contrat de mobilité professionnelle, combiné à une allocation logement conséquente (400 euros en région parisienne), serait réservé aux moins de 29 ans, peu qualifiés et embauchés au niveau du smic, qui accepteraient d’être mobiles. L’horizon des jeunes s’ouvrirait, tout en rendant possible un meilleur appariement des offres et des demandes d’emploi stable.
Côté santé, on retiendra une proposition originale : celle de faire bénéficier les jeunes d’une contribution sociale généralisée (CSG) à taux réduit, prenant le relais des retraités actuellement « avantagés » (par un taux d’imposition à 6,6 % contre 7,5 % pour les actifs)…
En matière de retraite, le deal proposé serait de garder le système par répartition en le transformant en un système par points et de le compléter par une retraite supplémentaire par capitalisation, obligatoire. Elle servirait à maintenir le niveau de vie des nouveaux retraités.
En matière de formation, enfin, chacun disposerait d’un droit de tirage d’un an au cours de sa vie professionnelle, tandis que les deux millions de jeunes NEET (ni en emploi ni en formation initiale ou continue) bénéficieraient, eux, de la généralisation des écoles de la deuxième chance. Ainsi décrit, ce pacte intergénérationnel supposerait de réallouer 4 à 6 points de PIB entre les générations. La plupart des pays européens ont entamé des réformes en ce sens. Pourquoi pas nous ?
Claire Guélaud Journaliste au Monde, publié dans LE MONDE ECONOMIE le 18.02.2016
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