Pourquoi papy et mamy font (parfois) de la résistance
En se plaçant pour la première fois du point de vue des ainés, une étude primée par la Fondation Leenaards démontre que les seniors vivant à domicile privilégient avant tout leur autonomie et leur estime de soi, parfois au détriment des dangers qu’ils encourent.
Avec le grand âge, le rapport au risque se transforme. Un exemple parmi d’autres: alors que le tapis du salon représente pour les proches ou les professionnels de la santé, un danger potentiel de chute, certaines personnes âgées y voient, au contraire, un repère. Une façon de se sentir totalement chez elles, comme elles l’ont décidé. Rien ne sert alors de remiser la carpette tant chérie dans un coin, car il y a fort à parier qu’elle reprendra sa place à peine l’ergothérapeute aura tourné les talons.
D’autres encore, passé quatre-vingt ans, et parfois même en situation de handicap, n’hésitent pas à monter sur un tabouret afin de saisir un objet rangé en haut d’une armoire, ou à emprunter des chemins peu adaptés à leurs conditions. Autant de comportements qui paraissent, à première vue, totalement échapper au bon sens, mais qui répondent en réalité à des motivations existentielles fondamentales pour les personnes âgées.
Ce changement de perspective lié au maintien à domicile des aînés sans troubles cognitifs, est le fruit d’une étude primée par la Fondation Leenaards en 2013, dont les résultats ont été publiés cette année. Pour la première fois, il s’agit de se placer du point de vue des personnes âgées et non de se focaliser uniquement sur les risques encourus.
Dans ce sens, il s’avère que, au-delà des dangers vitaux, les aînés privilégient avant tout leur autonomie, l’estime de soi et les habitudes qu’ils ne souhaitent pas abandonner. Les risques omniprésents dans le quotidien des personnes âgées (comme le fait d’engendrer des douleurs ou de chuter) ne sont certes pas ignorés, mais ne semblent pas déterminer leurs actions in fine. Ainsi, en voulant absolument préserver l’intégrité physique des personnes âgées par des mesures de prévention trop restrictives, on risque non seulement d’aller contre cette volonté, mais aussi de détériorer le bien-être psycho-social des seniors, voire même d’avoir un impact sur leur motivation à vivre.
«Sur la base d’entretiens centrés sur le vécu d’une vingtaine de personnes âgées vivant seules à domicile, nous avons pu constater que ces dernières ont non seulement conscience de leurs limites, mais aussi de leur finitude. Cela les amène à vivre dans l’ici et maintenant, explique Catherine Piguet, chercheuse en soins infirmiers ayant conduit cette recherche aux côtés de Marion Droz-Mendelzweig et Maria Grazia Bedin, toutes trois professeures à la Haute Ecole de la Santé La Source, à Lausanne. Décider de ses actions et maintenir une estime de soi est également essentiel à leurs propres yeux. C’est pourquoi, quand il y a un conflit entre les risques vitaux et les besoins existentiels, c’est très souvent la deuxième catégorie qui prend le dessus.»
Ces conclusions, prochainement présentées dans le cadre de l’association vaudoise d’aide et de soins à domicile, pourraient aussi permettre de reconsidérer plus globalement la question de l’accompagnement des aînés vivant à la maison. «Lorsqu’ils découvrent l’environnement dans lequel évoluent les personnes âgées, les professionnels de la santé ont tendance à voir en premier lieu les manques et les dangers potentiels, ajoute Catherine Piguet. Ceux avec qui nous avons travaillé pour mener à bien cette recherche, ont ainsi été très étonnés de constater à quel point les seniors interrogés font preuve d’autonomie, dans le sens où ils se montrent prêts à déployer des ressources importantes pour mener à bien les activités qui leur sont chères.»
Il semble en effet que les personnes âgées n’hésitent pas à mobiliser leur entourage si besoin ou à trouver des tactiques pour faire au mieux avec leurs possibilités physiques comme, par exemple, planifier des déplacements en fonction des bancs qu’ils trouveront sur leur parcours.
Dans une société gouvernée par le risque zéro, ce nouveau regard pousse à se questionner sur les mesures de prévention que l’on impose aux seniors vivant à domicile. «Il ne s’agit pas de ne plus prendre en compte les risques vitaux, explique Catherine Piguet, mais de placer un curseur différent pour chaque situation, en prenant en compte les besoins, les envies et les limites propres aux parcours de chacun.»
Les résultats de cette étude seront présentés dans le cadre du colloque Leenaards âge & société qui aura lieu le mardi 24 novembre à Pully. www.leenaards.ch/colloque
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