Activités physiques et prévention des chutes chez les aînés : le point avec l'Inserm (partie 1)
Activités physiques et prévention des chutes chez les aînés : le point avec l'Inserm (partie 1)
Avec le vieillissement, chaque individu peut être atteint par des déficiences sensorielles, motrices et cognitives, ainsi que par des pathologies chroniques. C’est comme ça… Par ailleurs, au-delà de 85 ans, plus des trois-quarts des Français déclarent des limitations dans leurs activités. Les chutes, événements fréquents chez les aînés, participent aux risques de perte d’autonomie et d’entrée en institution, et s’avèrent très coûteuses en termes de qualité de vie et de prise en charge. Dans un contexte de vieillissement de la population, leur prévention et la préservation de l’indépendance dans les activités quotidiennes représentent donc des enjeux majeurs de santé publique.
Dans ce contexte, l’Inserm a été sollicité par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports pour réaliser une expertise collective permettant de disposer d’un bilan des connaissances scientifiques sur les bénéfices de la pratique d’une activité physique à la prévention des chutes chez les aînés. Pour répondre à cette demande, l’Inserm a réuni un groupe de différents experts qui souligne ainsi l’effet bénéfique d’une activité physique régulière, centrée sur le travail de l’équilibre, pour tous les sujets âgés à risque plus ou moins élevé de chute. Pour être adaptés à l’état de santé et au mode de vie des personnes, les programmes d’exercices physiques doivent être davantage encadrés et mieux associer les acteurs du monde médical, associatif et sportif.
Chutes accidentelles des personnes âgées : état des lieux et conséquences
La chute est un événement fréquent aux conséquences multiples et souvent graves (voire même mortelles) chez les personnes âgées. En France, en 2009, selon l’enquête sur les accidents de la vie (AcVC) courante, les chutes représentent 90% des accidents de la vie courante recensés dans les services d’urgence chez les plus de 75 ans. Par ailleurs, d’après les études menées dans les pays occidentaux, 20 à 33% des personnes âgées de 65 ans ou plus indiquent avoir chuté au cours de l’année écoulée. Parmi les chuteurs, la moitié aurait fait au moins deux chutes dans l’année.
Les chutes représentent par ailleurs la principale cause de traumatismes physiques chez les plus de 70 ans. Leur prévalence traumatisme augmente avec l’âge et est plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Ces derniers présentent plus souvent des traumatismes crâniens, et les femmes des traumatismes des hanches ou du bassin. D’autre part, il faut rappeler que les chutes sont aussi souvent responsables d’une perte de confiance en soi… Elles peuvent même conduire à une restriction des activités du simple fait de la peur de chuter. L’autonomie et la qualité de vie du sujet sont ainsi affectées par leur survenue.
Les chutes induisent par ailleurs des coûts humains, hospitaliers et médico-économiques liés entre autres aux hospitalisations consécutives aux fractures. Le constat de coûts élevés donne une mesure de l’importance du problème économique qu’elles représentent et justifie d’intervenir préventivement.
Quel est le profil du chuteur ?
La population des personnes âgées constitue un groupe très hétérogène d’un point de vue médical et fonctionnel. On distingue trois catégories de personnes en fonction de leur état de santé : les personnes dites « vigoureuses » (en bon état de santé, indépendantes et autonomes), les personnes dites « malades » (dépendantes et en mauvais état de santé) et les personnes dites « fragiles » (à l’état de santé intermédiaire et à risque de basculer dans la catégorie des malades). Après 65 ans, 15 à 20% des personnes vivant à domicile seraient fragiles. Or, la fragilité est associée à un risque majoré de mortalité et d’événements péjoratifs comme les chutes.
Les changements d’ordre sensoriel et moteur liés au vieillissement altèrent l’équilibre, la posture et la marche. Par exemple, le maintien de l’équilibre nécessite plus d’attention de la part de la personne âgée. Ainsi, le nombre de chutes et de chuteurs augmenterait parallèlement avec l’âge : parmi les sujets de plus de 80 ans, près d’un sur deux aurait chuté dans l’année écoulée. Les taux par an chez les plus de 65 ans sont par ailleurs plus élevés chez les femmes que chez les hommes, cette différence s’observant principalement avant 90 ans.
Outre les modifications de la physiologie de l’équilibre liées à l’âge, de nombreux facteurs médicaux (déficits sensoriels, déclin cognitif,…), psychologiques (dépression, peur de chuter, manque de confiance,…), comportementaux (sédentarité) et environnementaux participent au risque de chute. Chez les ainés, ce dernier est majoré (de l’ordre de 1,7 à 2 fois) par la prise de médicaments psychotropes. Et sans trop de surprises, les sujets résidant en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes sont les plus concernés. Enfin, les caractéristiques sociales du chuteur sous-tendent également les circonstances et souvent les conséquences de la chute : un faible revenu, un logement inapproprié, un réseau social pauvre ou une difficulté d’accès aux services sociaux augmentent le risque de chute.
Pourtant, on le dit et on le répète : les exercices physiques contribuent à réduire le taux de chutes et le risque de chuter. La chute d’un senior étant le plus souvent d’origine multifactorielle, différents types de programmes de prévention des chutes ont été développés. On distingue habituellement trois types d’intervention : les unifactorielles (visant à corriger un seul facteur), les multiples (proposant à un groupe, sans évaluation individuelle, de travailler sur deux ou plus de deux facteurs de risque) et les multifactorielles. Les interventions multifactorielles intègrent une évaluation individuelle du risque de chute et proposent ensuite une prise en charge individualisée en fonction des risques repérés.
Les interventions multifactorielles comprennent le plus souvent des exercices physiques, et selon les cas, une correction de troubles visuels, et/ou d’une hypotension orthostatique, une révision des médicaments, notamment une réduction des traitements psychotropes, une adaptation du domicile, un ajout de suppléments vitaminiques ou nutritionnels, une prise en charge des problèmes podologiques, un diagnostic et traitement d’une maladie de la mémoire et de la dépression.
L’entraînement de l’équilibre : clé de voûte de tout programme d’exercices de prévention des chutes
Les programmes d’exercices les plus efficaces sont ceux centrés sur le travail de l’équilibre. Globalement, ceux qui comprennent des exercices d’équilibre entraînent une réduction significative du risque de chute de l’ordre de 25 % tandis que les autres types d’exercice n’ont pas d’effet significatif sur la prévention des chutes. Néanmoins, le renforcement musculaire et l’amélioration de l’endurance participent au maintien des capacités fonctionnelles et ont des effets complémentaires au travail de l’équilibre sur la prévention des chutes.
Les interventions comprenant spécifiquement des exercices d’équilibre dynamique (passage d’obstacles, exercices « assis-debout », de double-tâche, de marche avec variations de vitesse et de direction) et du renforcement musculaire des membres inférieurs améliorent la vitesse de marche et constituent ainsi un objectif important des programmes de prévention des chutes.
Des programmes d’exercices physiques efficaces en fonction de la population ciblée
Pour les personnes âgées vivant à domicile, les programmes reposant sur plusieurs types d’exercices d’activité physique sont efficaces à la fois sur la réduction du taux de chutes, du risque de chuter et du risque de fractures. Concernant plus particulièrement les sujets fragiles et/ou à haut risque de chute, l’approche multifactorielle semble la plus adaptée.
La revue Cochrane (2012) a examiné l’effet de différents programmes d’exercice sur le taux de chutes et sur le risque de chuter chez les personnes âgées vivant hors institution. Les résultats montrent que les programmes reposant sur plusieurs types d’exercices, pratiqués en groupes, diminuent le taux de chutes de 29% et le risque de chuter de 15%. Ces derniers ont également montré leur efficacité lorsqu’ils sont réalisés individuellement au domicile de la personne, sous l’encadrement (au moins au départ) d’un kinésithérapeute ou d’autres intervenants formés pour ce genre d’exercices.
La « dose » d’exercices semble également importante à considérer. On constate ainsi, un effet sur la prévention des chutes nettement plus marqué dans les essais où la « dose » d’exercices était au minimum de 50 heures sur la durée totale de l’intervention. Par ailleurs, et d’une façon générale, on sait que les bénéfices de l’exercice sont rapidement perdus après l’arrêt du programme, ce qui implique idéalement la poursuite de l’entraînement physique aussi longtemps que possible pour le maintien des effets sur le long terme. Cependant, peu d’études ont suivi les participants au-delà de la période d’intervention (qui excède rarement 12 semaines) pour apprécier la durée de l’effet préventif sur les chutes et la persistance d’une activité par les participants.
L’efficacité de ces programmes vis-à-vis de la prévention des traumatismes physiques liés aux chutes reste à déterminer, la plupart des essais n’ayant pas un effectif suffisant pour montrer un effet sur les évènements les plus graves. Mais globalement, le risque de fracture est diminué (20 à 40%) chez les sujets pratiquant une activité physique et ayant un mode de vie actif. En établissement d’hébergement pour personnes âgées, les programmes d’activité physique et les interventions multifactorielles n’ont pas encore démontré leur efficacité dans la prévention des chutes.
Publié dans Senioractu 575 du 5 décembre 2014