Retraités, ils créent un domaine viticole à Chantelle (Allier), le plus petit de l'AOC Saint Pourçain
Ginette et Jean Bonnet sont des retraités actifs. Après avoir fait carrière dans l’industrie, ils ont créé un domaine viticole à Chantelle, dans l’Allier. Le plus petit de l’AOC saint-pourçain. Et sans aucun doute le plus atypique.
Quand le portail est ouvert, c’est que Jean et Ginette Bonnet sont là. Avec bonhomie, ils accueillent le visiteur comme un petit-enfant qu’ils n’auraient pas vu depuis longtemps. Avant de se raconter, Jean vérifie avec malice que le visiteur a le sens de l’humour.
Leur histoire, c’est celle d’un couple uni qui a décidé de créer un domaine viticole, à la retraite, à 65 ans. Le seul de Chantelle. Le plus petit de l’AOC saint-pourçain, avec trois hectares, et sans doute le plus atypique. Ils ont eu cette idée quand Jean a hérité quelques vignes de ses parents à Fourilles, à quelques kilomètres.
« On a décidé de reprendre la vigne, pour ne pas rester inactifs » Ginette et Jean « Autour, il n’y avait que des vignes, ça nous a paru logique. Et puis, j’aimais bien l’idée d’avoir notre vin », explique Jean. « Le vin, c’est passionnant, on travaille avec du vivant, on fait des choses différentes chaque année, c’est passionnant », complète Ginette. Ils ont alors réuni des terres et planté des vignes : du chardonnay, un peu de sauvignon, du gamay et du pinot.
Ils ont ensuite construit leur chai et sont allés chercher du matériel, un peu partout. « On a fait des salons de professionnels. On est allé chercher du matériel en Italie ». Pas effrayé par l’aspect production, cet ancien ingénieur industriel sait exactement ce qu’il veut.
Et quand on lui demande comment il s’est formé, Jean répond tout seul et Ginette ajoute : « La première cuvée était excellente. On avait fait un vinaigre délicieux ». Ils se sont donc rendus en Bourgogne pour affiner leur façon de produire. Ils continuent désormais de vinifier leurs vins selon leurs goûts.
« En fait, on ne sait pas vraiment goûter le vin dans les règles. Moi, je n’aime pas les chichis. La seule règle, c’est qu’il faut qu’il nous plaise » Jean
Lui préfère le rouge, le rosé n’a pas assez de corps. Il l’aime avec un bout de fromage et notamment du saint-nectaire.
Ils ont choisi le nom du domaine en famille, de manière assez évidente. La propriété était entourée de chênes, ça serait donc La Chênaie. Et pour les étiquettes, ils ont également réalisé ça en famille. Leur fille, Marie-Christine Livernais, ayant fait les beaux-arts, elle a dessiné le domaine.
Ainsi, ils produisent du blanc, du rosé et du rouge, et de la méthode champagnisée en blanc et en rosé. Pour ces deux pétillants, ils apportent leur vin à Renaison. Il est travaillé là-bas et le couple va rechercher ses bouteilles.
Aujourd’hui, à respectivement 93 et 99 ans, ils continuent de produire leur vin. Les travaux agricoles, ce n’est pas vraiment le domaine de Jean. « Même le jardinage, il n’aime pas ça. Quand il voit une bêche, il part en courant », s’amuse Ginette. D’ailleurs il n’a même pas de bottes !
Pour les vendanges, ils ne mettent plus trop la main à la pâte maintenant, mais ils se souviennent de quand tous leurs copains venaient les aider et qu’ils partageaient le repas des vendanges. « Mais aujourd’hui, on a fait le tour, et il n’en reste pas beaucoup ». À l’époque, Jean avait fait construire un bâtiment spécialement pour les repas de vendanges. Une pièce rectangulaire pour accueillir de grande tablée avec une cuisine. Un bâtiment qui est désormais dédié à l’accueil des visiteurs et des groupes.
S’ils continuent d’accueillir des gens et de commercialiser eux-mêmes leurs vins, c’est pour le contact avec les gens, « pour conserver une vie sociale ». « On apprécie d’accueillir des gens, de discuter avec eux, de bien les recevoir. Ma femme est exceptionnelle pour ça. Elle a toujours un petit gâteau à proposer », explique Jean.
Dans leur travail, ils ont toujours aimé ce contact. « On a travaillé dans la représentation industrielle, il fallait donc savoir parler aux gens et pas forcément que du travail, s’intéresser à eux, savoir les écouter, écouter leurs besoins », explique le couple. Ils ont également, pour leur travail, vécu en Suisse. Une période dont Ginette se souvient avec nostalgie, notamment pour la vie sociale : « On recevait beaucoup, notamment les grands patrons. »
S’il apprécie cette vie sociale, Jean met un point d’honneur à ne pas devenir une bête curieuse. Il a 99 ans et sa femme 93 ans. Mais pour lui, son âge n’est pas un sujet, pas plus que sa santé. « Ce n’est pas de ma faute si je vais bien. Il faut saluer mes parents qui m’ont donné de bons gènes. Moi, je n’y suis pour rien », se défend Jean qui se définit comme « un fainéant qui mourra au travail ».
Ginette, elle, aimerait faire une cuvée pour le centenaire ou bien un petit événement, mais ce n’est pas franchement du goût de son mari qui le lui fait savoir en ronchonnant. Pour elle non plus, l’âge n’est pas vraiment un sujet : « Je ne suis pas vieille, je suis seulement âgée. »
STO. Pendant plus de deux ans, la famille de Jean Bonnet n’a pas eu de ses nouvelles. Deux années, de mars 1943 à mars 1945 qu’il a passées, en service de travail obligatoire (STO) en Pologne. Alors qu’il était étudiant à l’atelier industriel de l’air à Clermont-Ferrand, à 21 ans, les gendarmes sont venus le chercher chez lui. « J’étais réquisitionné. Et puis vous savez la Résistance, à cette époque, moi, je n’en avais pas connaissance ». Il a alors travaillé dans une usine d’armement pour faire les cantines : « On ne faisait pas d’armes ». « Dans cette usine, il n’y avait que des Français. On dormait sur le site de l’usine, dans des baraquements. On mangeait de la soupe de betteraves. J’ai une sainte horreur de la betterave depuis. Et quand on pouvait, on allait chiper des choses dans les champs ». Jean reste pudique sur cette période difficile. Il comprend que la guerre est finie quand les Allemands qui gardaient le camp partent. Il décide alors de se rendre chez des fermiers polonais qu’il connaissait et avec qui il a gardé contact. Son périple de retour fut long et compliqué. Il a traversé la Pologne avec l’armée russe en vingt-trois jours, puis il a pris un train avant d’attendre en Ukraine dans un camp pendant six mois pour partir avec la Marine française. C’est finalement en train qu’il rentre en France. À Clermont-Ferrand, sa sœur l’attendait avec Ginette à la gare. Mais ce n’est que quelques années plus tard qu’ils ont formé un couple.
Marie Collinet, publié dans l’Yonne Républicaine du 21 août 2021